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texte de lecture "Les enfants du pôle"

 
   Le 28 avril 1987 à 11 h 45, heure locale, pour la première fois quatre garçons et quatre filles de 13 à 15 ans ont atteint, avec Jean-Louis Etienne, le pôle Nord magnétique.

 
Jour J moins dix

   Dix jours plus tôt, nous sommes arrivés à Resolute Bay, camp de base de toutes les expéditions vers le pôle Nord, qu'il soit géographique ou magnétique. Il fait 22º, une température printanière pour la région, mais le vent est au blizzard.
Dans l'auberge, il fait bien chaud. Le nez collé à la vitre devant le spectacle de la neige tourbillonnant furieusement, Ingrid, Nathalie, Valérie, Laure, Pierre, Sébastien, Eric et Thomas piaffent d'impatience.
Alors, en route pour une petite balade, histoire de leur faire comprendre combien le froid peut être un ennemi redoutable.
- Bon sang, quel froid ! On croirait qu'un glaçon vous rentre dans l'estomac !
- Souvenez-vous de ce que je vous ai dit, répétais-je pour la énième fois, vous faites très attention aux joues et au nez de vos voisins. S'ils présentent des marques blanches, vous l'avertissez aussitôt : c'est le signe de gelures, qu'il faut masser tout de suite, O.K. ?
Une heure plus tard, de retour à l'auberge, la chaleur leur semble suffocante... Mes huit compagnons se laissent envahir par le sommeil, avec le sentiment agréable d'avoir résisté aux assauts furieux du froid et du vent, et d'avoir un tant soit peu compris quelque chose à la dure vie des Esquimaux...

Jour J moins six

Puis c'est le départ tant attendu : pôle Nord magnétique, nous voici ! Le Twin Otter, un petit avion, nous dépose sur la côte est de l'île Bathurst. Paul-Emile Victor, de passage à Resolute Bay, nous accompagne sur la banquise jusqu'au départ. Il fait froid et la bise est piquante. Nous montons le camp.
- Quoi ! Mais il fait encore jour !
- Vous savez bien qu'à cette époque de l'année, il n'y a plus de nuit au pays de l'ours polaire...
Le lendemain, malheureusement, le vent est bien trop fort pour envisager de partir. Sébastien, l'amoureux des bêtes, sort plusieurs fois de la tente malgré le froid pour voir si les chiens supportent les rigueurs du climat. Nous avons en effet un attelage de chiens de traîneau pour tirer nos bagages.
Bloqués par le vent, il ne nous reste plus qu'une chose à faire, c'est-à-dire : attendre.
Au bout d'un moment, les enfants sont tous démangés par l'inaction.
Je consens à les emmener en promenade autour du camp, à la recherche des ours. Nous ne l'avons pas regretté.
Le soleil, voilé par un léger brouillard de particules de glace soulevées par le vent, dessine dans le ciel une parahélie : c'est un phénomène optique, oú l'on croit voir plusieurs soleils, disposés en cercles concentriques.
Le phénomène est rare et d'une exceptionnelle beauté.
- C'est extraordinaire, parvient à dire Nathalie.
Ils ont tous le souffle coupé par la beauté du ciel.
- On dirait un monde de fiction... lui répond Thomas.

Jour J moins deux

Le lendemain, les conditions météo sont parfaites. Un DC 3, construit en 1947 (!) et monté sur patins nous dépose sur l'île du Roi-Christian à six heures du soir.
A deux heures du matin, nous avons marché tellement vite que tout le monde a transpiré dans ses sous-vêtements, et qu'il faut faire vite, très vite, pour se glisser dans les sacs de couchage avant que le froid nous glace.
A -32º, il n'y a pas une seconde à perdre. On se refoidit en cinq minutes et il faut deux heures pour se réchauffer.

Jour J moins un

Le lendemain, à dix heures, nous quittons le camp. La température est très basse. Le vent s'est levé et il souffle de face, suffisamment pour devenir rapidement insupportable.
Peu de temps après, Valérie ne sent plus ses orteils gauches. Nous nous arrêtons pour construire un abri avec les traîneaux et je lui réchauffe les pieds.
Nous repartons. Tout le monde a froid au visage. A cause de la respiration, la fourrure qui borde notre capuche est couverte de glace. On attrape tous des taches blanches de gelure. Heureusement, mes compagnons sont très attentifs les uns aux autres et les signalent dès qu'elles apparaissent.

Jour J !

Le lendemain, nous sommes tous d'accord pour partir tôt : debout à six heures, départ à huit. Il fait très beau, nous marchons à vive allure.
Vers dix heures, notre petite troupe avance, les coudes serrés, silencieuse, concentrée... Nous approchons du but. Michel passe devant nous et plante notre drapeau à l'horizon.

5-4-3-2-1-zéro !

- Ça y est ! Je le vois, Michel est arrivé ! L'excitation est intense. Nous accélérons dans un train d'enfer pour les derniers mètres. À 11h 45, nous sommes tous groupés à dix mètres du but...
10.9.8.7.6.5.4.3.2.1.zérooo !
C'est l'explosion de joie, tous se ruent vers le drapeau. Puis ils me portent en triomphe. Je suis très ému...
Ensuite, nous faisons des photos, un bout de film.
Mais très vite, le froid nous rappelle qu'il est ici chez lui. Il faut repartir rapidement.
Tout le monde est un peu triste sur la route du retour... Le plus difficile reste à faire : se séparer...