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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 18

Le jour brillait déjà depuis longtemps quand Chloé et Bérangère se levèrent après une longue nuit réparatrice. Elles trouvèrent le journal sur la table du petit déjeuner. En première page, on y voyait une photo de la capture des pollueurs.
Chloé remarqua, intriguée :
- Tiens ! Au moment où cette photo a été prise, j'aurais juré que le mété était à côté de moi.
- Fais voir, intervint Bérangère... Oui... Tu as raison. Le photographe a peut-être coupé la photo.
- Impossible, objecta Chloé. Le gendarme, là à droite, aurait disparu aussi...
Il y eut un silence pesant avant que les filles n'éclatent de rire...
- Je vais vraiment finir par croire que le mété est un brin sorcier, commenta Chloé, qu'il a le pouvoir de ne pas impressionner les négatifs photographiques !
- Avec lui, il ne faut surtout pas trop chercher à comprendre.
Elles lurent attentivement l'article qui racontait leurs exploits. Le journaliste avait confondu Christine et Julien dans certains passages. Il avait exagéré le nombre et la puissance des armes utilisées. Il parlait de coups de feu qui n’avaient jamais été tirés.
- Il devait trouver que nos aventures n'étaient pas assez palpitantes comme cela, conclut Bérangère.
- Je t'assure que j'ai eu suffisamment peur, assura sa compagne.
Le téléphone sonna. C'était Lucien.
- Cet après midi, j'organise une grande fête en l'honneur des super détectives que nous sommes. Vous venez !... Christine pourra venir. On va s'éclater. Vous avez lu le journal ? J'en ai acheté plein pour envoyer aux copains...
Les filles écoutaient le flot de paroles avec amusement. Et dire que ce Lucien-là les avait mises dans une situation sacrément dangereuse !
- Et moi qui ne voulais pas venir ici, parce que j'avais peur de me casser les pieds ! continuait le beau parleur infatigable. N'empêche je suis content de vous avoir rencontrées. On ne s'ennuie pas avec vous au moins.
- Avec toi non plus, rit Bérangère.

~~~~~~

Quelques instants plus tard, elles montaient la côte du Chêne-Mort puis prenaient le chemin du Moulin. L'air frais stimulait les narines. Elles arrivèrent à la haie qui fermait le terrain du mété. Elles la franchirent. Bérangère frappa trois coups clairs et francs. Des paroles incompréhensibles résonnèrent derrière la porte. Les filles comprirent qu'elles pouvaient entrer.
- Cette fois, je refuse de m'asseoir sur un tabouret. J'ai horreur de cela, pensa Bérangère en passant le seuil.
Le vieil Augustin les accueillit avec gentillesse. Il les installa autour de la grande table de ferme. Devant lui, déplié en grand, le journal du jour portait les mêmes titres que celui que les filles venaient de parcourir chez elles.
Le mété, une loupe à la main, continua sa lecture.
Peut-être le faisait-il exprès, pour que les filles s'habituent à la pièce et trouvent enfin leurs mots.
- On est désolées… d'avoir trahi votre… secret, commença Chloé en buttant sur les mots.
- Surtout qu’on n’a même pas trouvé le remède à votre paralysie chronique.
- Bah ! répondit le mété, chacun fait comme il peut. D'ailleurs, on pourra toujours retourner au souterrain par Les Vigneux, quand les gendarmes l'autoriseront, puisque l'entrée par le mûrier est éboulée et que la troisième nous est toujours inconnue.
Le silence retomba. Non pas un silence de gêne, plutôt un silence complice : l'Augustin et les deux filles n'avaient pas forcément besoin de paroles pour se sentir bien ensemble. Néanmoins les filles savaient qu'il y avait peu de chance de pouvoir retourner au souterrain par la maison du vigneron : le lieu serait sous la surveillance des forces de l'ordre pendant toute l'enquête qui serait certainement longue. Mais surtout, le passage semblait définitivement bloqué comme ils avaient pu le constater. Chloé fouilla dans son sac à dos. Elle en tira les herbes qu'elle avait cueillies ces derniers jours. Elle désirait connaître leurs noms pour son herbier. La fille blonde posa sa cueillette sur un coin du journal.
- Pouvez-vous m'aider à composer mon herbier ?
Délicatement, le vieil homme se saisit des plantes de la main gauche. De sa main droite, il les prenait une à une, en citant un nom latin suivi du nom commun. Il arriva à la dernière.
- Ça, c’est un champignon. La lumière n'est pas nécessaire à son développement. Il me dit quelque chose.
Pourtant, je n'en ai jamais cueilli... Ce long col veiné, ces tentacules plissées...

Il n'acheva pas sa phrase. Il se dirigea vers la cheminée.
- Ha non ! Pas le tabouret, pensa Bérangère.
- Je l'ai trouvé dans le souterrain, précisa Chloé.
L'Augustin posa un doigt sur l'un des cahiers rangés au-dessus de la cheminée, ceux que Chloé avaient remarqués lors de sa première visite. Il le sortit, l'ouvrit, le feuilleta. Malgré son grand calme, les filles le sentaient tendu.
- Voici une recette que m'avait donnée mon grand-père. Il ne m'a jamais expliqué à quoi elle servait. Il m'avait juste dit qu'elle me serait utile quand j'aurais son âge. Je n'ai jamais trouvé la plante qui entre dans sa composition. Voilà le secret de la pierre éclairci, mon grand-père cueillait ce champignon dans le souterrain. Avec, il se fabriquait un remède contre cette maudite maladie familiale.
- Ce spécimen vous permettra de soigner la prochaine crise, réfléchit Bérangère. Mais il faut à tout prix que vous puissiez vous en trouver régulièrement !
Chloé n'écoutait pas ces propos. Elle fixait la cheminée, l'air absent.
- Dis Chloé, tu comprends, tu as trouvé la plante qui guérit ! la rudoya Bérangère qui ne comprenait pas cette brusque indifférence de son amie à un moment aussi important.
La fille blonde n'entendait pas. Elle entra à demi dans la grande cheminée. Elle s'approcha de la plaque en fonte qui garnissait le fond. Elle cita de mémoire la traduction du manuscrit de Monillon :
- « La troisième entrée s'ouvrait derrière celui qui unit les cœurs. » Regardez la plaque de cheminée. Vous voyez, on dirait un forgeron qui soude deux cœurs ensemble. Très symbolique ! « ... dans une maison proche du Moulin». Il y avait un moulin dans le coin avant puisque le chemin qui mène à votre maison s’appelle le chemin du Moulin ? demanda-t-elle à l'Augustin.
Celui-ci confirma d'un regard.
- « L'enclume libérait le passage. » continua Chloé en appuyant de toutes ses forces sur l'enclume de la plaque de cheminée.
Un craquement retentit, suivi d'un bruit de frottement. Le fond de la cheminée s'ouvrait ! Un corridor apparut, noir et humide.
Soudain très énervée, Chloé rappela à son amie :
- Tu te souviens du cul-de-sac dans le souterrain ? Nous y sommes ! La paroi était tiède. C’est normal puisque, derrière, l'Augustin devait faire du feu à ce moment-là. Tu te rends compte, on était juste derrière la cheminée.
- Voilà le chemin qu'empruntait mon grand-père pour aller cueillir les ingrédients de son remède , dit le vieil homme, ému.
- Vous pourrez retourner au souterrain quand bon vous semblera maintenant. Finies les crises de paralysie ! fit Bérangère qui sous le coup de l'émotion s'assit sur le premier siège qu'elle rencontra : le tabouret.
- Je savais que je pouvais compter sur vous les petites, les remercia le météorologue.
- Vous êtes dorénavant le seul à pouvoir pénétrer dans le boyau de pierre, conclut Bérangère. La première entrée est définitivement obstruée par la herse, la deuxième ne peut plus s'ouvrir de l'extérieur.
- Tant mieux, remarqua Chloé. Si trop de gens s'amusaient à se promener dans le souterrain, son équilibre écologique serait perturbé et peut-être que ces champignons ne pourraient plus pousser.
- Il faudra juste faire attention à ce que la plaque ne se ferme pas pendant que vous serez sous terre, ajouta Bérangère. Le système intérieur de fermeture ne fonctionne plus. S’il fonctionnait encore, vous nous auriez vu débarquer ici, hier.

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