Le jour brillait déjà depuis longtemps quand Chloé et
Bérangère se levèrent après une longue nuit réparatrice.
Elles trouvèrent le journal sur la table du petit déjeuner.
En première page, on y voyait une photo de la capture
des pollueurs.
Chloé remarqua, intriguée :
- Tiens ! Au moment où cette photo a été prise, j'aurais
juré que le mété était à côté de moi.
- Fais voir, intervint Bérangère... Oui... Tu as raison. Le
photographe a peut-être coupé la photo.
- Impossible, objecta Chloé. Le gendarme, là à droite,
aurait disparu aussi...
Il y eut un silence pesant avant que les filles n'éclatent
de rire...
- Je vais vraiment finir par croire que le mété est un brin
sorcier, commenta Chloé, qu'il a le pouvoir de ne pas
impressionner les négatifs photographiques !
- Avec lui, il ne faut surtout pas trop chercher à comprendre.
Elles lurent attentivement l'article qui racontait leurs
exploits. Le journaliste avait confondu Christine et Julien
dans certains passages. Il avait exagéré le nombre et la
puissance des armes utilisées. Il parlait de coups de feu
qui n’avaient jamais été tirés.
- Il devait trouver que nos aventures n'étaient pas assez
palpitantes comme cela, conclut Bérangère.
- Je t'assure que j'ai eu suffisamment peur, assura sa
compagne.
Le téléphone sonna. C'était Lucien.
- Cet après midi, j'organise une grande fête en l'honneur
des super détectives que nous sommes. Vous venez !...
Christine pourra venir. On va s'éclater. Vous avez lu le
journal ? J'en ai acheté plein pour envoyer aux copains...
Les filles écoutaient le flot de paroles avec amusement.
Et dire que ce Lucien-là les avait mises dans une
situation sacrément dangereuse !
- Et moi qui ne voulais pas venir ici, parce que j'avais
peur de me casser les pieds ! continuait le beau parleur
infatigable. N'empêche je suis content de vous avoir
rencontrées. On ne s'ennuie pas avec vous au moins.
- Avec toi non plus, rit Bérangère.
~~~~~~
Quelques instants plus tard, elles montaient la côte du
Chêne-Mort puis prenaient le chemin du Moulin. L'air
frais stimulait les narines. Elles arrivèrent à la haie qui
fermait le terrain du mété. Elles la franchirent. Bérangère
frappa trois coups clairs et francs. Des paroles incompréhensibles
résonnèrent derrière la porte. Les filles comprirent
qu'elles pouvaient entrer.
- Cette fois, je refuse de m'asseoir sur un tabouret. J'ai
horreur de cela, pensa Bérangère en passant le seuil.
Le vieil Augustin les accueillit avec gentillesse. Il les
installa autour de la grande table de ferme. Devant lui,
déplié en grand, le journal du jour portait les mêmes
titres que celui que les filles venaient de parcourir chez
elles.
Le mété, une loupe à la main, continua sa lecture.
Peut-être le faisait-il exprès, pour que les filles s'habituent
à la pièce et trouvent enfin leurs mots.
- On est désolées… d'avoir trahi votre… secret, commença
Chloé en buttant sur les mots.
- Surtout qu’on n’a même pas trouvé le remède à votre
paralysie chronique.
- Bah ! répondit le mété, chacun fait comme il peut.
D'ailleurs, on pourra toujours retourner au souterrain par
Les Vigneux, quand les gendarmes l'autoriseront,
puisque l'entrée par le mûrier est éboulée et que la
troisième nous est toujours inconnue.
Le silence retomba. Non pas un silence de gêne, plutôt
un silence complice : l'Augustin et les deux filles
n'avaient pas forcément besoin de paroles pour se sentir
bien ensemble. Néanmoins les filles savaient qu'il y avait
peu de chance de pouvoir retourner au souterrain par la
maison du vigneron : le lieu serait sous la surveillance
des forces de l'ordre pendant toute l'enquête qui serait
certainement longue. Mais surtout, le passage semblait
définitivement bloqué comme ils avaient pu le constater.
Chloé fouilla dans son sac à dos. Elle en tira les herbes
qu'elle avait cueillies ces derniers jours. Elle désirait
connaître leurs noms pour son herbier. La fille blonde
posa sa cueillette sur un coin du journal.
- Pouvez-vous m'aider à composer mon herbier ?
Délicatement, le vieil homme se saisit des plantes de la
main gauche. De sa main droite, il les prenait une à une,
en citant un nom latin suivi du nom commun. Il arriva à
la dernière.
- Ça, c’est un champignon. La lumière n'est pas nécessaire
à son développement. Il me dit quelque chose.
Pourtant, je n'en ai jamais cueilli... Ce long col veiné, ces
tentacules plissées...
Il n'acheva pas sa phrase. Il se dirigea vers la cheminée.
- Ha non ! Pas le tabouret, pensa Bérangère.
- Je l'ai trouvé dans le souterrain, précisa Chloé.
L'Augustin posa un doigt sur l'un des cahiers rangés
au-dessus de la cheminée, ceux que Chloé avaient
remarqués lors de sa première visite. Il le sortit, l'ouvrit,
le feuilleta. Malgré son grand calme, les filles le sentaient
tendu.
- Voici une recette que m'avait donnée mon grand-père.
Il ne m'a jamais expliqué à quoi elle servait. Il m'avait
juste dit qu'elle me serait utile quand j'aurais son
âge. Je n'ai jamais trouvé la plante qui entre
dans sa composition. Voilà le secret de la pierre éclairci,
mon grand-père cueillait ce champignon dans le souterrain.
Avec, il se fabriquait un remède contre cette maudite
maladie familiale.
- Ce spécimen vous permettra de soigner la prochaine
crise, réfléchit Bérangère. Mais il faut à tout prix que
vous puissiez vous en trouver régulièrement !
Chloé n'écoutait pas ces propos. Elle fixait la cheminée,
l'air absent.
- Dis Chloé, tu comprends, tu as trouvé la plante qui
guérit ! la rudoya Bérangère qui ne comprenait pas cette
brusque indifférence de son amie à un moment aussi
important.
La fille blonde n'entendait pas. Elle entra à demi dans la
grande cheminée. Elle s'approcha de la plaque en fonte
qui garnissait le fond. Elle cita de mémoire la traduction
du manuscrit de Monillon :
-
« La troisième entrée s'ouvrait derrière celui qui unit les
cœurs. » Regardez la plaque de cheminée. Vous voyez,
on dirait un forgeron qui soude deux cœurs ensemble.
Très symbolique !
« ... dans une maison proche du
Moulin». Il y avait un moulin dans le coin avant puisque
le chemin qui mène à votre maison s’appelle le chemin
du Moulin ? demanda-t-elle à l'Augustin.
Celui-ci confirma d'un regard.
-
« L'enclume libérait le passage. » continua Chloé en
appuyant de toutes ses forces sur l'enclume de la plaque
de cheminée.
Un craquement retentit, suivi d'un bruit de frottement. Le
fond de la cheminée s'ouvrait ! Un corridor apparut, noir
et humide.
Soudain très énervée, Chloé rappela à son amie :
- Tu te souviens du cul-de-sac dans le souterrain ? Nous
y sommes ! La paroi était tiède. C’est normal puisque,
derrière, l'Augustin devait faire du feu à ce moment-là.
Tu te rends compte, on était juste derrière la cheminée.
- Voilà le chemin qu'empruntait mon grand-père pour
aller cueillir les ingrédients de son remède , dit le vieil
homme, ému.
- Vous pourrez retourner au souterrain quand bon vous
semblera maintenant. Finies les crises de paralysie ! fit
Bérangère qui sous le coup de l'émotion s'assit sur le
premier siège qu'elle rencontra : le tabouret.
- Je savais que je pouvais compter sur vous les petites,
les remercia le météorologue.
- Vous êtes dorénavant le seul à pouvoir pénétrer dans
le boyau de pierre, conclut Bérangère. La première
entrée est définitivement obstruée par la herse, la
deuxième ne peut plus s'ouvrir de l'extérieur.
- Tant mieux, remarqua Chloé. Si trop de gens s'amusaient
à se promener dans le souterrain, son équilibre
écologique serait perturbé et peut-être que ces champignons
ne pourraient plus pousser.
- Il faudra juste faire attention à ce que la plaque ne se
ferme pas pendant que vous serez sous terre, ajouta
Bérangère. Le système intérieur de fermeture ne fonctionne
plus. S’il fonctionnait encore, vous nous auriez vu
débarquer ici, hier.