Elles avaient à peine parcouru une dizaine de mètres
qu'elles entendirent des aboiements. Cléopâtre, totalement
remise, les poursuivait. Elle les rattrapa facilement.
Les filles qui roulaient côte à côte s'écartèrent de manière
à lui ménager une place entre elles deux.
- La bande est au complet, cria Chloé. Ils vont voir ce
qu'ils vont voir !
Elles ralentirent en débouchant dans le chemin. Elles
sélectionnèrent une vitesse moins rapide. Contrairement
à leurs habitudes, elles ne respectèrent pas le silence du
Boismalin. Cette course folle ravissait la chienne qui
jappait de plaisir.
Elles sautèrent des bicyclettes en marche. Celles-ci
échouèrent dans les brindilles et l'humus . Bérangère
pénétra la première dans le tunnel de ronces, Chloé la
suivit. Cléopâtre prenait du retard.
Chloé se préparait à sauter sur la dalle qui déclenchait le
mécanisme d'ouverture quand Bérangère l'arrêta :
- Vérifions que nous avons emporté le nécessaire. On ne
sait jamais, j'ai préparé le matériel si vite !...
Le sac de Chloé ne contenait que la nourriture qui avait
servi d'alibi à leur absence au repas familial. Quatre
mains fouillèrent donc celui de Bérangère.
- Corde, canif, chaussettes ?...
- Pourquoi tu as pris des chaussettes ? Nous ne partons
pas aux sports d'hiver !
- Deux lampes... J'ai pris des chaussettes parce que...
parce que... je ne sais pas. L'affolement sans doute.
- Une bougie, des allumettes... Ha, je n'ai pas oublié le
plus important, continua Chloé en fouillant dans sa
poche.
Elle sortit de sa poche la feuille de Madame Mérialler.
Cléopâtre, assise, inclinait la tête d'un côté puis de
l'autre. Elle voulait connaître la suite du jeu. Quand elle
vit Chloé sautiller sur la dalle, elle se redressa, les
oreilles droites, la queue battante. Elle aboya. Bérangère
s'approcha d'elle :
- Ne t'inquiète pas, ma belle. Tout ira bien. Du moins il
faut le souhaiter, la rassura-t-elle. Si tu ne veux pas nous
accompagner, reste ici. Tu pourras prévenir Julien et
Sophie s'il nous arrivait des ennuis.
La marche gravée s'ouvrit doucement. La chienne recula.
Elle aboya de plus belle. Les filles s'engagèrent
dans le puits. Cléopâtre s'approcha du trou. Elle grognait.
- Tu ne sautes pas ? lui demanda Chloé. Attends !
Elle remonta, se pencha. Elle installa l'animal sur ses
épaules à la façon d'un berger qui porte un agneau.
- Tu es lourde, toi ! s'exclama-t-elle.
Elle s'engagea de nouveau sur les barreaux de fer. Elle
sentait la chienne tendue. Elle lui parlait doucement
pendant la descente qu'elle effectuait difficilement. Une
troisième main lui aurait donné plus d'aisance car elle
devait s'accrocher tout en maintenant l'animal.
Arrivée en bas de l'échelle, elle déposa la chienne par
terre. Cléopâtre avança résolument puis s'arrêta net
devant l’oubliette qui s’était ouverte lors de leur précédente
expédition.
- Regarde, on dirait que quelqu’un est passé par là ! fit
observer Bérangère.
- C'est sûrement l'œuvre de Lucien, commenta Chloé en
balayant le trou avec le faisceau lumineux de la lampe.
Pas bête, il a fait un pont.
En effet, une solide planche de chêne traversait le sol
sur toute la longueur du trou.
- Il faut quand même faire super attention en traversant !
Elles parlaient à voix basse. Il fallut beaucoup de patience
et de paroles réconfortantes pour décider Cléopâtre
à traverser le passage dangereux. D'abord elle
refusa, ensuite, trop confiante, elle voulut renifler dans
l’oubliette. Peut-être se souvenait-elle de son mulot ! Les
filles et la chienne se retrouvèrent cependant de l'autre
côté de l’endroit fatidique.
- Il reste encore la herse à franchir !
- Toi, tu restes au pied, ordonna Chloé à Cléo. Pas
question que tu déclenches encore une machine infernale.
La chienne eut un regard éploré. Elle poussa une plainte.
Elle comprenait. La petite troupe avançait très précautionneusement.
Les lampes exploraient les parois et la
voûte. Les pieds tapotaient le sol pour en tester la
solidité. Alors seulement les filles s'enhardissaient d'une
cinquantaine de centimètres.
- A ce rythme-là, les bandits ont cent fois le temps de...
commença Chloé, maussade.
- Tais-toi ! la coupa Bérangère. On ne peut pas faire
autrement. Si on se retrouve prisonnières de la herse, on
perd toute chance de délivrer Lucien.
Les murs se couvraient progressivement de mousse. Au
sol, la terre battue remplaçait les pierres. L'humidité
transpirait de partout. La boue collait aux chaussures de
sports des filles. Quelquefois, Cléo secouait une patte
trop boueuse à son goût. Au fur et à mesure de leur
avance, le souterrain devenait de plus en plus abîmé.
Les filles découvrirent une pierre tombée de la voûte.
Elles levèrent les yeux. Au passage, elles reçurent une
poignée de terre du plafond. Bérangère s'épousseta d'un
geste agacé.
- Pourvu que cela ne nous tombe pas dessus, souhaita
Chloé.
- Ne parle pas de malheur !
Elles reprirent leur lente progression.
- Un escalier ! Un tournant ! s'exclamèrent-elles soudain.
Elles avaient parlé trop fort.
- Qui c’est ? interpella quelqu'un.
Le sang des filles se figea. Qui appelait ? Un
malfaiteur ? Celui qui voulait tuer Lucien, par
exemple ?