Chloé éclaira rapidement une dernière fois l’escalier
qu’elles venaient de découvrir. Puis toutes deux, elles
éteignirent les torches. Du pied, elles tâtaient les
marches avant d’en descendre une. Elles prenaient soin
de ne pas faire de bruit. Cléopâtre renifla. L'air humide
lui provoqua un éternuement.
- C’est qui ? martela une voix féminine.
Dans le noir, Chloé et Bérangère se donnèrent la main
pour se rassurer. Tout à coup, elles se heurtèrent à un
mur gluant. Elles eurent un mouvement de recul qui les
fit tomber assises sur les marches.
Sans lumière, elles n’avaient pas vu qu’à cet endroit le
souterrain faisait un coude. Elles devaient tourner à
gauche pour continuer.
- Il y a quelqu'un ? reprit la voix.
Les filles se rapprochaient certainement de la personne
qui appelait car le ton devenait plus clair. Il dénotait de la
jeunesse et de l'inquiétude. Cléo renifla encore. Elle
jappa gaiement. Désorientée par sa chute, Chloé hésitait
à se relever.
- Au secours ! appela la voix. Au secours ! Aidez-moi !
La sincérité de l'appel dissipa les craintes des filles. Cela
ne pouvait pas être une personne malveillante. Chloé
ralluma sa lampe la première. Bérangère l'imita. Après
quelques secondes de recherche, les faisceaux lumineux
s’arrêtèrent sur le visage perdu d'une enfant prisonnière
dans une cage : la « herse circulaire » !
- On arrive !
Les filles parcoururent le plus vite possible les quelques
mètres qui les séparaient du piège.
- Christine ! Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
La prisonnière, à peine plus âgée que Bérangère et
Chloé, habitait le village de Lorme. Les filles jouaient
avec elle quand elle avait l'autorisation de sortir. En
effet, c’était l’aînée d'une famille nombreuse. Alors, elle
aidait sa mère dans les tâches ménagères et s'occupait
beaucoup de ses frères et sœurs. Du coup, elle avait peu
de temps pour s'amuser.
- Chloé ! Bérangère !
Elles s'embrassèrent entre les barreaux en fer.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? interrogea Bérangère.
- Tu es venue avec Lucien ? demanda Chloé.
- Sortez-moi d'ici ! Je veux sortir !
- OK, on parlera plus tard !
Chloé examina l'endroit. Une cage, pendue au plafond
par une chaîne, barrait le tunnel dans toute sa largeur.
Elle était plutôt rectangulaire que ronde comme la décrivait
Monillon.
Pour aller plus loin, il faudrait qu’elles passent une
première fois la grille pour entrer dans la herse. Elles se
retrouveraient alors aux côtés de Christine. Puis, toutes
les trois devraient passer la grille une seconde fois pour
sortir de cette cage maudite . Alors seulement, elles
seraient de l’autre côté et pourraient poursuivre l’exploration
du souterrain.
Chloé examina les murs. Des mousses et des moisissures
se développaient à foison à cause de l'humidité.
Sur le sol, des éclats de granit et des monticules de
terre, certainement tombés du plafond, prouvaient que la
voûte n’était pas solide à cet endroit et qu’il y avait déjà
eu des éboulements.
A trois, elles essayèrent de relever la grille. Leurs tentatives
ne réussirent qu'à leur meurtrir les mains.
- Avec une pierre et une planche, on pourrait faire levier,
proposa Chloé.
- La planche ne résistera pas, objecta Bérangère.
- Je ne veux pas rester là !
Christine était à bout.
- Décidément ! Les malheurs n’arrêtent pas depuis qu’on
a ouvert ce souterrain, se plaignit amèrement Bérangère.
Ha ! Si on avait cru le mété, on n'en serait pas là !
Dire qu’on n'a même pas cherché le secret du grand
père de l'Augustin !
- Bouge-toi ! la rudoya Chloé. Tu crois que la solution va
venir toute seule ?
Puis elle examina le sol.
- Peut-être qu'en creusant la terre en-dessous, on pourrait
faire un passage ? proposa-t-elle au hasard.
- Excellente idée ! se réjouit Christine qui s'étonnait de
ne pas y avoir pensé plus tôt.
De l'intérieur, elle gratta la terre grasse. Les deux autres
l'imitèrent à l'extérieur.
- Sans outil, cela va durer une éternité !
- Je me suis déjà cassé un ongle.
Chloé qui venait de se meurtrir un doigt contre une
pierre, se leva. Tandis qu'elle se nettoyait la main avec
un mouchoir, son regard se posa sur le mur. Il lui sembla
apercevoir une partie gravée. Elle s'en approcha, gratta
la mousse et découvrit des traits en creux. Elle les
essuya.
- Ho ! Regardez ! s'exclama-t-elle.
Bérangère se releva.
- Trois feuilles, commenta-t-elle, d'orme sans doute.
Chloé sortit de sa poche la traduction de la bibliothécaire.
Elle relut la fin à haute voix :
-
« Les trois feuilles d'orme protègent et libèrent. » Si
nous appuyons dessus, la grille se relèvera peut-être,
imagina-t-elle.
- Tentons le coup. Allez, on se tient prêtes à passer de
l'autre côté, proposa Bérangère. Je ne fais pas confiance
à la solidité du tunnel.
Christine, sceptique, ironisa :
- Vous vous croyez dans un jeu de piste ?
Bérangère se tourna vers elle. Elle prit sa mine la plus
convaincante :
- Ne critique pas si vite. On t'expliquera...
- De toutes manières au point où on en est... si cela peut
me rendre la liberté, se résigna Christine.
La fille brune se mit à quatre pattes. Elle attira Cléopâtre
contre elle, face à la herse. Christine fit de même,
tournée vers la suite du tunnel. Chloé compta.
- Un, deux... trois !
Elle appuya énergiquement sur les feuilles d'orme gravées.
Rien ne se produisit. Elle poussa un juron et
recommença immédiatement en appuyant comme une
forcenée, cette fois. Un craquement déchira l'air. La
herse trembla. On entendit comme un cran qui sautait.
La herse s'éleva à une allure désespérément lente.
Christine s'aplatit. Dès que la cage libéra une trentaine
de centimètres de hauteur, elle y rampa comme un
serpent. Sauvée ! Elle était sauvée ! Comme elle était
déjà dans la cage, elle n'avait eu à franchir qu'un côté de
la grille. Des gravats rebondirent sur les barreaux de fer.
La voûte s'effritait !
Bérangère se précipita sous la cage. Elle se trouva
bientôt à l'intérieur. Ses pieds dérapaient, les aspérités
de la terre griffaient ses mains. La distance qui la
séparait de la Lormesienne lui paraissait interminable.
Elle devait encore passer la seconde grille pour être
libre.
Christine encourageait :
- Allez ! Du nerf les filles !
Partie la dernière, Chloé éprouvait une certaine angoisse.
Elle recevait de la poussière. Elle ne remarqua
pas l'arrivée de Bérangère et de Cléo en lieu sûr. Des
gravats tombés du plafond la gênaient pour avancer.
- Zut ! La grille s'arrête ! s'écria Bérangère.
En effet la herse venait de s'immobiliser. Chloé glissait,
dérapait. Le passage de ses camarades avait augmenté
la couche de boue. Chloé se démenait comme une folle.
Maintenant, elle arrivait juste devant le deuxième pan de
la grille. Tout à coup, la catastrophe advint. Il y eut le
bruit angoissant de quelque chose qui se casse. Puis des
gravats tombèrent en pluie ! Certains rebondirent sur la
tête de Chloé, au risque de l’assommer. La fille blonde
sursautait en les recevant.
Quelque part une chaîne se tendait à l'extrême avec des
sons métalliques inquiétants, comme si un esprit malfaisant
s’amusait à taper sur des casseroles.
- La herse ! La herse va retomber ! Le plafond s'écroule,
cria Bérangère. Chloé ! Tu vas rester bloquée ! Grouille,
bon sang, grouille !