La fille brune se précipita vers sa meilleure amie. A deux
mains, elle lui saisit un poignet. Puis d'une force dont
elle ne se savait pas capable, elle tira, elle tira, sans
réfléchir.
Un grondement d'orage résonna. L'écho le multiplia. Un
nuage de poussière se répandit dans le souterrain, recouvrant
tout d’un épais brouillard opaque. La herse
retombait. Elle emportait la voûte dans sa chute. Un
éboulement se produisit, assourdissant comme une avalanche
de pierres.
La poussière se dissipa difficilement. On ne voyait pas à
un mètre devant soi.
- Bérangère ! Chloé ! appela Christine, inquiète.
- Je suis là ! cria la fille brune. Chloé est avec moi.
Sur ces mots, elle se pencha sur sa copine dont elle
tenait toujours le poignet.
- Tu vas bien ? Dis, tu vas bien ?
- Tu m'as sauvé la vie, articula Chloé. Cléo est passée ?
Cléo ! Petite Cléo !
La chienne accourut. Pour seule réponse, elle lécha
avidement ses maîtresses.
De l'air, venu d’on ne sait où, rendit l'atmosphère respirable
et transparente. Les deux camarades se trouvaient
à plus de deux mètres de la grille. Ne pensant qu’au
danger, Bérangère n'avait pas mesuré la puissance de
son geste. Elle ne s'était arrêtée que parce qu'elle était
tombée sur les fesses en reculant.
- Comment sortir ? s'inquiéta Christine. Il y a peut-être
une autre sortie.
- Il y en a deux, précisa Bérangère.
- Vous connaissez ce souterrain ? s'étonna la Lormesienne.
- Oui et non... Au fait, c'est Lucien qui t'a entraînée dans
cette galère ?
- Pour cela oui ! se lamenta son interlocutrice. Ce matin,
il m'a proposé de jouer aux explorateurs. J'ai dit oui.
Mais je n'avais pas très envie de descendre dans le trou.
Il m'a traitée de peureuse. Il m'a dit que c’était une vieille
cave. Il m'a emmenée en enfer plutôt !
- Ensuite ?
- La cloche à fromage m'a piégée comme une souris.
Christine voulait parler de la herse. Lucien m'a dit qu'il
partait explorer la suite du souterrain. Il pensait découvrir
une autre sortie. Je suis restée seule dans le noir. Nous
n'avions qu'une lampe. Depuis je ne l'ai pas revu. Il a dû
lui arriver malheur.
- Non, il est prisonnier, résuma Chloé qui avait repris
tous ses esprits. Il faut faire vite. On ne peut pas
t'expliquer maintenant. Allez, en route !
Cléopâtre tremblait. Décidément, elle n'appréciait pas ce
souterrain.
La troupe démarra et avança plus rapidement. Bérangère
se préoccupa de Chloé.
- Tu ne souffres pas trop ?
- Non, je serai juste couverte de bleus demain. Je ne
suis pas sûre que mes parents me reconnaissent,
plaisanta-t-elle.
L'exploration devenait monotone. Elles savaient que
probablement plusieurs dizaines de mètres les séparaient
d'un croisement. La fille blonde en profita pour
compléter son herbier avec les rares végétaux qu’elles
rencontraient.
- J'ai faim, se plaignit-elle.
Sans cesser d'avancer, elle fouilla son sac et elle en
partagea le contenu avec ses compagnes. En silence,
elles croquèrent les sandwiches. Cléopâtre réclama sa
part.
Le sol devenait sec et ferme.
Après plusieurs minutes, le tunnel s'élargissait en une
grande pièce.
- Durant les troubles, supposa Bérangère, les gens devaient
vivre ici. Regardez sur les parois, on dirait des
crochets à lampe.
- On n'a pas le temps de visiter, protesta Christine.
- Ho, souffla Chloé, la tête en l'air. On se croirait dans
une église.
En effet, une voûte haute aux courbes continues les
surplombait majestueusement .
- Cela résonne drôlement ici, remarqua Bérangère.
- Quel vacarme il devait y avoir quand les gens s'y
réfugiaient, imagina Chloé. Pense aux cris des enfants,
aux caquetages des poules.
- Hé ! Les touristes ! On continue ! ordonna la Lormesienne.
On prend à droite ou à gauche ?
La pièce où elles étaient se trouvait à la croisée de trois
tunnels : celui d’où elles venaient et deux autres. D’après
le texte de Monillon, l’un menait à la « maison du
vigneron » et l’autre donnait dans une « maison proche
du Moulin ».
- Essayons à droite, proposa Chloé.
- On verra bien, dit Bérangère qui ne croyait pas vraiment
au sens de l'orientation de son amie.
Le couloir menait à un escalier raide et se terminait
rapidement en cul-de-sac. Chloé monta les marches.
Elle baissa la tête car la voûte était de plus en plus
basse, au fond. La fille blonde chercha des feuilles
d'orme gravées.
- Regardez ! Les voilà, se réjouit-elle.
Elle appuya dessus, tapa, martela. Rien ne se
produisit.
- Il m'a semblé entendre un déclic pourtant, lui affirma
Bérangère.
Elles cherchèrent à aider la pierre du fond à se déplacer.
Sans résultat.
- Tu n'as pas l'impression qu'elle est tiède ? demanda
Chloé.
- Ecoute, on ne va pas s’éterniser devant une issue
bloquée, raisonna Bérangère. Lucien n'a pas pu passer
par là. D'ailleurs, je suis sûre qu'il a emprunté l'autre
tunnel.
Christine approuva. Les trois filles tournèrent les talons,
rebroussèrent la grande salle et s'engagèrent dans le
couloir de gauche.
- Qui a une montre ? demanda la fille blonde.
- Il est treize heures trente, annonça Christine.
- Aucune importance. On ne sait pas à quelle heure les
malfaiteurs ont découvert Lucien, coupa la fille brune.
- Pas de panique, la rassura Chloé. Ils n'ont pas encore
terminé de descendre les fûts. Quant à Lucien, je pense
qu'ils se contenteront de l'abandonner dans le souterrain.
- J'espère que tu as raison, marmonna lugubrement
Bérangère. Je préfère qu’on se dépêche, ajouta-t-elle.
- Un vrai marathon, dit Christine.
Habituée à la marche, elle souffrait moins que ses
camarades. La petite troupe avait repris sa progression
depuis un bon quart d'heure quand la Lormesienne
s'écria :
- Encore un cul-de-sac. On est coincées !
- On devrait voir des fûts, remarqua Bérangère.
- Et un garçon aussi, compléta Chloé.
Le tunnel s'arrêtait là. Il fallait se rendre à l'évidence.
- « Les trois feuilles d'orme protègent et libèrent», récita
Christine. J'ai bien appris ma leçon.
- Oui, mais où elles sont ces fameuses feuilles qui nous
ont déjà libérées de la cage ? s’interrogea Bérangère.
Elles explorèrent les parois, grattèrent, frottèrent, au cas
où la poussière les aurait recouvertes. En vain.
- Par terre ! s'exclama Christine.
Elle montrait du doigt une pierre du dallage. Sans attendre,
elle la tapa du pied. Un pan du mur pivota dans
un crissement digne d’un film d’épouvante.
- Lucien a dû ouvrir en marchant par hasard sur les trois
feuilles d'orme, déduisit Bérangère.
Les trois filles et Cléopâtre se faufilèrent dans le passage.
A peine avaient-elles débouché de l'autre côté du
mur que celui-ci reprenait sa place normale sans prévenir
et toujours avec le même bruit horrible.
- Mince alors ! Cette issue secrète se referme automatiquement,
commenta Chloé.