Elles se trouvaient dans une pièce rectangulaire assez
vaste, occupée en partie par une trentaine de fûts dangereux.
- Lucien ne doit pas être loin !
A vrai dire, chacune se demandait s'il ne lui était pas
arrivé malheur. Mais aucune n'osait le dire. De plus, les
malfaiteurs pouvaient surgir d’un moment à l’autre. Instinctivement,
les filles se regroupèrent. Elles explorèrent
minutieusement l'endroit. Cléopâtre se détacha du
groupe et disparut dans la pénombre. Bérangère la
chercha avec la lampe. Alors, elle la découvrit aux côtés
de Lucien. Les malfaiteurs l'avaient ligoté et bâillonné.
Chloé fouilla le sac à dos de Bérangère. Elle en sortit le
canif.
Les yeux du garçon exprimaient l'incrédulité. Vraisem-
blablement , il ne s'attendait pas à cette visite.
- Il aurait besoin d'un bon affûtage, ce couteau, se
lamenta la fille blonde.
Le bâillon coupé pendit sur l'épaule du prisonnier. Chloé
s'attaqua aux cordes.
- Super les filles ! Vraiment géniales ! Je croyais rester
ici jusqu'à la fin du monde ! s'écria Lucien.
Il continua à exprimer sa joie et sa sollicitude. Puis il
expliqua sentencieusement :
- Dans le tunnel, une cellule photoélectrique commande
l'ouverture du mur. Mais le gars qui a conçu le passage
a oublié d'en mettre une de ce côté. Alors, je me suis
retrouvé coincé ici. Des types que je ne connais même
pas et à qui je n'ai rien fait m'ont sauté dessus et attaché.
Des fous !
Chloé inspecta discrètement les alentours. Elle remarqua
de nouveau le fameux dessin des feuilles.
- Evidemment, s'il croit que cela marche avec des cellules
photomachinchoses, il ne risque pas de sortir,
pensa-t-elle.
- Bon ! Récapitulons, raisonna Chloé à haute voix. La
première entrée est bloquée par un éboulement et la
herse. Cette entrée, celle des Vigneux, est gardée par
des bandits qui n’hésiteront pas à nous tuer. On devrait
essayer la troisième sortie qu’on n’est pas arrivées à
ouvrir tout à l’heure. Peut-être que cette fois, on parviendra
à débloquer le mécanisme d’ouverture.
Christine repéra à nouveau les fameuses feuilles d'orme.
Elle appuya dessus pour rouvrir le mur et rebrousser
chemin dans le tunnel.
- Mince alors, c'est encore bloqué ! maugréa-t-elle.
Toutes leurs tentatives furent aussi infructueuses les
unes que les autres. Les filles se rendirent à l’évidence :
ils sortiraient par la grange des Vigneux qui se trouvait
au-dessus de leurs têtes.
Elles ne pouvaient pas faire autrement. Bérangère le
savait bien. Elle aurait préféré une sortie plus calme.
Mais c’était impossible. Cela la mit de mauvaise humeur.
Elle se souvint alors de l'attitude du garçon quand
elle glissait dans l'oubliette avec Cléo au bout de la
corde :
- Lève-toi, nous partons, ironisa-t-elle.
- Je ne peux pas. Je suis attaché, répondit son interlocuteur.
- Détache-toi et viens, nous sommes pressées !
Chloé raisonna sa compagne :
- Ne passe pas tes nerfs sur Lucien, il t'a quand même
sauvé la vie.
- Il en a mis du temps.
Chloé continuait de couper les cordes du prisonnier. Ce
n’était pas une tâche facile car le canif coupait mal.
Dès qu'il eut les mains libres, Lucien en plongea une
dans la poche de sa veste de survêtement. Il en sortit un
jeu électronique. Il le mit en marche. Une mélodie
aigrelette et saccadée commença.
- Ouf ! Elle n'est pas cassée ! se réjouit-il.
Les filles se regardèrent et se sourirent.
- Eteins ton truc, lui ordonna Christine. Tu n'es pas dans
un jeu vidéo. Ici tu n'as qu'une vie, pas trois. Ne nous
fais pas repérer.
Chloé trancha le dernier lien. Lucien se releva. Il épousseta
ses vêtements, il détendit ses muscles avec
quelques mouvements de gymnastique. Puis il s'avança
vers Chloé.
- Puisque c'est la coutume dans le pays quand quelqu'un
vous sauve la vie...
Il embrassa la fille blonde, puis la brune et Christine
enfin.
- Qu'a-t-on l'habitude de faire aux gens qui mettent
bêtement votre existence en péril ? lui demanda celle-ci
en pensant à son séjour sous la herse.
- Heu... bredouilla Lucien.
- Allez, on ne peut pas se permettre de se chamailler ,
intervint Chloé.
Puis elle s'adressa à Lucien :
- Et les deux bandits, qu’est-ce qu’ils deviennent ?
- Ils ont apporté des barils, il y a quelques minutes.
D'après ce que j'ai pu comprendre, ils attendent une
nouvelle cargaison qui devrait déjà être là. Vous savez
que c'est super dangereux ce qu'il y a dedans ? Super
toxique...
- On sait, le coupa Chloé d'un ton neutre. C'est pour cela
qu’on est là.
Bérangère poursuivit :
- En te prenant pour Superman, tu as failli faire échouer
nos plans.
- Je croyais que les chamailleries étaient terminées,
rappela gentiment Christine. Réfléchissons plutôt à une
solution pour sortir de ce piège à rat. Je manque d'air à
la fin.
- Là-haut, ils sont deux ou trois gaillards patibulaires ,
récapitula Bérangère. Ils nous maîtriseront sans difficulté
dès qu’on pointera le museau dans la grange.
- Notre seule chance, c’est de les prendre par surprise,
conclut Chloé. Restons ici et attendons-les.
Christine objecta :
- S'ils descendent ensemble, ils auront vite le dessus !
- Non, il y en a toujours un qui vient apporter une lampe
à gaz en premier, leur apprit Lucien, habitué des lieux. Il
repart. Ensuite seulement, les deux hommes apportent
les fûts un par un. Ils vont doucement à cause des
marches.
Le conciliabule se déroulait à voix basse.
- Dans ce cas, proposa Chloé, capturons le premier qui
descend. Et l'autre finira bien par venir aux nouvelles s'il
ne voit pas revenir son complice.
- S'ils sont trois, que ferons nous ? s'inquiéta Christine.
- Jusqu'à présent ils sont toujours descendus seulement
à deux.
Chacun proposa son idée pour la capture des hommes.
On se mit d’accord sur un plan. Les enfants mimèrent la
scène pour que tout soit au point.
L'attente commença. Chaque membre de la bande se
tenait à son poste. Les minutes s'allongeaient démesurément...
Et si les bandits décidaient de terminer la manutention
des fûts plus tard ? Si exceptionnellement, ils
arrivaient à deux en même temps ? Si l'un des enfants
avait trop peur au dernier moment et jouait mal son
rôle ? Si, si ?... Des doutes muets assaillaient les enfants.
Mais chacun sentait que s’il renonçait, il mettait la
vie de ses camarades en danger.
Soudain Cléopâtre grogna sourdement. Elle avertissait
les enfants. Tout le monde tendit l'oreille. Il y eut un
frottement lourd et lent : la pierre qui commandait l'entrée
du passage secret se déplaçait. Un malfaiteur s'apprêtait
à déposer la lampe dans la cave. Les respirations
se suspendirent ...
Les enfants entendirent des pas, la descente de l’escalier,
puis des pas réguliers de plus en plus sonores. Par
moments, l'éclair d'une lampe torche qui se balançait au
bout d’un bras éclairait un fût. Frissonnants de peur dans
le noir, les trois filles et le garçon se tenaient prêts...