L'homme franchirait le seuil dans deux ou trois secondes…
Bérangère et Chloé, aplaties des deux côtés de l'entrée,
tendirent la corde d'un coup sec à trente centimètres du
sol. Le malfaiteur trébucha . Il n'eut pas le temps de
pousser un cri que les deux copines l'éblouissaient avec
les lampes. Du haut du bidon où il était embusqué,
Lucien se laissa tomber sur l'homme et le bâillonna. Les
filles se joignirent à lui : le malfaiteur étouffait sous le
poids des quatre enfants qui lui liaient les mains et les
pieds comme ils se présentaient.
La lampe à gaz s’était écrasée sur la terre battue.
Chloé fouilla le prisonnier : il ne possédait aucune arme.
- On l'interroge ? demanda Lucien.
- Tu parles ! Dès qu’on lui aura retiré le bâillon, il hurlera
comme un putois, prédit Christine.
- On attend encore.
Le prisonnier se débattait. Bérangère vérifia ses liens. A
quatre, ils le traînèrent dans un coin discret. Ils éteignirent
les lampes. Chacun retourna à son poste.
Nouvelle attente... Ragaillardis par cette capture, les
enfants se sentaient capables d'affronter le diable en
personne. Au bout de quelques minutes interminables,
une voix retentit, amplifiée par le tunnel.
- Hé ! Qu'est-ce que tu fabriques ?
Chloé et Bérangère, aux premières loges, tressaillirent.
Des pas résonnèrent. L'homme entra. Les deux camarades
ne coordonnèrent-elles pas assez leurs
mouvements ? L'individu était-il doué d'une force
herculéenne ? Toujours est-il qu'il chancela mais il retrouva
immédiatement l'équilibre. Entraînée par la
corde, Chloé s'étala de tout son long, le nez dans la
poussière. Le malfaiteur effectua une rapide volte-face .
Dos aux barils, il examina la situation.
- Debout, ordonna-t-il à Chloé. Toi, attache-la, fit-il à
Bérangère tandis qu'il lui jetait une corde.
Penaudes, Bérangère et Chloé obéirent.
- Où est mon pote ? Et le petit morveux ? se rappela-t-il.
Sors de ton trou, petit morveux, sinon j'abîme tes
copines !
Joignant le geste à la parole, le malfaiteur brandit un
revolver en direction des deux filles.
- Pourvu que Lucien ne se prenne pas encore une fois
pour James Bond, espéra Chloé.
Lucien, bras en l'air, apparut dans la lumière. Bérangère
dut lui nouer les poignets et les chevilles avec des lacets
de baskets car il n’y avait plus de corde. Deux espoirs
demeuraient : Christine, toujours libre, et Cléopâtre.
Chloé pensa à sa chienne. Elle regretta :
- Elle est gentille, intelligente, mais pas bagarreuse pour
deux sous.
Si Christine et la chienne voulaient agir, elles devaient
faire vite. En effet, quand le bandit prisonnier n’aurait
plus son bâillon, il parlerait et révèlerait leur présence.
Soudain, surgie de nulle part, Cléo fendit l'air. Elle
poussa un rugissement de fauve que personne ne lui
avait jamais entendu jusqu'à présent. Ses mâchoires se
refermèrent puissamment sur la main qui braquait
l'arme. Christine se précipita, ramassa le revolver.
- Laisse la chienne, hurla-t-elle.
Le malfaiteur frappait Cléo de sa torche électrique. Sans
résultat. Car la chienne enfonçait plus profondément
encore ses crocs dans la chair.
Christine s'approcha à une distance raisonnable.
- Laisse la chienne, répéta-t-elle.
L'homme s'immobilisa. Cléopâtre ne lâchait toujours pas
sa proie. Bérangère, la mine réjouie, attacha solidement
le deuxième prisonnier avec une corde sortie de son sac.
- Impossible d'utiliser celle-là pour mes amis. Elle vous
était réservée, plaisanta-t-elle. C'est une corde spéciale
bandit. Sympa, non ?
Elle lui fit un magnifique sourire.
Les malfaiteurs furent bientôt ligotés. Christine soupira
en détachant ses camarades. D’un air dégoûté, elle saisit
l'arme par le canon entre deux doigts.
- J'ai horreur de ces trucs-là !
- Pourtant, j'ai bien cru que tu allais tirer, s'étonna Lucien.
Puis désignant le bandit, il ajouta : lui aussi, il t'a
prise au sérieux.
Elle posa le revolver sur le sol.
- Je n'aime pas trop laisser une arme, même s'ils sont
attachés. On ne sait jamais, dit Chloé.
- Sage précaution, acquiesça Christine.
Elle reprit l'objet, en retira les balles qu'elle glissa dans
sa poche et le jeta par terre.
- Tu sais comment ça fonctionne ? balbutia Bérangère.
- Mon oncle appartient à un club de tir. Je l'ai parfois
accompagné, avoua Christine. J'ai vu comment il s'y
prenait.
Puis elle changea de conversation.