Instinctivement, Chloé se tourna vers la cave. Rien.
Finalement, elle regarda la porte d'entrée. Deux
hommes venaient d'entrer avec fracas. L'un habillé d'un
pantalon et d'un blouson en jean les menaçait d’un fusil.
L'autre, le patron, vêtu d'un costume clair, cravaté, ne
semblait pas à sa place dans cette grange délabrée. On
l’aurait plutôt vu dans le fauteuil en cuir d’un luxueux
salon. D'ailleurs malgré l’importance de la situation, il
prenait soin de ne pas salir ses chaussures.
Malgré une vive douleur à la cheville, Chloé réfléchit à la
vitesse de l'éclair. Ces nouveaux arrivés ne connaissaient
personne. Aucune des filles c'était sûr, ni Lucien
avec un peu de chance. Ils ne savaient pas non plus que
les quatre enfants venaient de neutraliser leurs complices.
Alors que ses camarades n'osaient aucune initiative,
la fille blonde prit la parole : elle devait non seulement
tromper les malfaiteurs, mais aussi se faire suffisamment
comprendre de ses amis pour qu'ils ne la
contredisent pas.
- Doucement, on n'a rien fait de mal ! s'exclama-t-elle
innocemment. On jouait à cache-cache et je me suis
foulée la cheville.
Christine, Lucien et Bérangère se tournèrent vers elle,
très étonnés. Il y eut un silence. Le patron et le conducteur
se regardèrent. Ils hésitaient. Bérangère sut lire
dans les yeux de sa meilleure amie. Elle réagit aussitôt.
- On n'a rien volé, rien abîmé, vous savez. On est juste
venus allonger notre copine dans la paille parce qu'elle
s'est fait mal.
Christine comprit à son tour la ruse :
- Vous n'êtes pas médecin par hasard ? demanda-t-elle
à l'homme en costume de ville.
- Vous n'avez pas une voiture pour la raccompagner
chez ses parents ? s'enquit Lucien.
- Ouf ! soupira intérieurement Chloé, ils ont tous compris
mon stratagème. Avec un peu de chance, on va pouvoir
partir tranquillement.
De fait, le patron baissa le fusil de chasse de son
acolyte. Si ces enfants disaient vrai, il valait mieux ne
pas éveiller leur attention, ni commettre d’actes suspects
qu'ils risquaient de raconter dans le village.
- Excusez-nous, fit-il brusquement aimable. Nous pensions
à un rôdeur. On nous en a signalé un. Nous
voulions l'intimider.
- Il ment encore mieux que nous, pensa Chloé, impressionnée.
- Va voir à la cave s'il n'y est pas, ordonna le patron au
conducteur qui l’accompagnait.
Craignait-il encore de salir ses chaussures ? Toujours
est-il qu’il resta près de la porte. Le visage de Bérangère
se décomposa. Dans quelques secondes, au milieu des
fûts, l'homme armé découvrirait ses compères qui lui
expliqueraient tout. Impossible de sortir en catastrophe.
L'homme en costume attraperait certainement un enfant
au passage... Et Chloé qui ne pouvait pas poser le pied
par terre !
Le conducteur se dirigeait lentement vers l'ouverture de
ce que les bandits appelaient la cave. Pour l’instant
dirigé vers le sol, le canon du fusil pouvait se lever en
une fraction de seconde. La fille blonde pensa à Chevalier
Noir. Pourquoi ? Elle ne le savait pas. Elle le cherchait
des yeux, comme aimantée. C'était plus fort
qu'elle. Elle aurait voulu regarder ailleurs qu'elle n'aurait
pas pu. Enfin son regard croisa celui de l'oiseau de proie.
Il n'avait pas changé de place. L'oiseau « comprenait »
la situation ! Il était venu parce qu'il « savait » ! Chloé se
sentit à la fois rassurée et effrayée. Rassurée parce
qu’elle sentait que Chevalier Noir allait les aider. Effrayée
parce qu’un oiseau doué de tel pouvoir c’était
incroyable !
Dans l'action qui suivit, Chloé aurait été incapable de
dire si elle avait suivi l'oiseau des yeux ou... si c’était elle
qui avait guidé le rapace avec son regard !...
L'oiseau défroissa ses ailes, les étendit posément.
L'homme armé, lui, semblait agir plus rapidement. Il
approchait de l'escalier. L'oiseau s'envola silencieusement.
A peine de petites poussières de paille brillèrent
dans l'air. Les ailes montaient et descendaient au rythme
de la respiration d'un dormeur. Encore deux pas et
l'homme s'engagerait dans l’escalier. Chevalier Noir au
lieu de perdre de la hauteur, en gagnait, s'éloignant de
celui qu’il considérait désormais comme sa proie. Puis
comme le malfaiteur s'apprêtait à poser sa botte sur la
première marche, la buse tomba littéralement à la verticale
à une vitesse vertigineuse, les serres grandes
ouvertes. Le conducteur hurla de douleur. Les griffes de
l'animal lui enserraient les tempes plus sûrement qu'un
étau. Déjà le sang coulait. Aveuglé, l’homme porta ses
mains à la tête. Mais Chevalier Noir remontait déjà pour
une nouvelle attaque.
Chloé gonfla ses poumons à plein. Elle hurla :
- Cléo ! Le fusil !
Echappée des mains du bandit, l'arme traînait là, dans le
foin, à côté du pressoir. Sortie d'on ne sait où, Cléopâtre
bondit. D'un saut, elle fut sur l'arme, les babines retroussées,
prête à défendre jusqu'au dernier souffle, l'objet
que sa maîtresse venait de lui ordonner de surveiller.
Epouvanté de la rapidité des animaux dont il n'avait pas
soupçonné la présence, le patron se rua vers la porte. Il
s'enfuyait lâchement. Au volant de sa camionnette, il
serait vite loin, emportant avec lui le secret de toutes ses
cachettes mortelles où il avait fait dissimuler des produits
fortement toxiques ! Ses mains s'affolèrent sur la
poignée ancienne et d'un fonctionnement incertain. Enfin,
la porte s'ouvrit. Le soleil pénétra violemment dans
la grange. Eblouis, les enfants fermèrent les yeux.
Quand ils les rouvrirent, le patron gisait à terre, à son
tour, à l'intérieur du bâtiment. En ombre chinoise, dans
l'encadrement de la porte, se découpait nettement une
silhouette voûtée et rêche comme un cep de vigne : le
météorologue !