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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 16

Instinctivement, Chloé se tourna vers la cave. Rien.
Finalement, elle regarda la porte d'entrée. Deux hommes venaient d'entrer avec fracas. L'un habillé d'un pantalon et d'un blouson en jean les menaçait d’un fusil. L'autre, le patron, vêtu d'un costume clair, cravaté, ne semblait pas à sa place dans cette grange délabrée. On l’aurait plutôt vu dans le fauteuil en cuir d’un luxueux salon. D'ailleurs malgré l’importance de la situation, il prenait soin de ne pas salir ses chaussures.
Malgré une vive douleur à la cheville, Chloé réfléchit à la vitesse de l'éclair. Ces nouveaux arrivés ne connaissaient personne. Aucune des filles c'était sûr, ni Lucien avec un peu de chance. Ils ne savaient pas non plus que les quatre enfants venaient de neutraliser leurs complices. Alors que ses camarades n'osaient aucune initiative, la fille blonde prit la parole : elle devait non seulement tromper les malfaiteurs, mais aussi se faire suffisamment comprendre de ses amis pour qu'ils ne la contredisent pas.
- Doucement, on n'a rien fait de mal ! s'exclama-t-elle innocemment. On jouait à cache-cache et je me suis foulée la cheville.
Christine, Lucien et Bérangère se tournèrent vers elle, très étonnés. Il y eut un silence. Le patron et le conducteur se regardèrent. Ils hésitaient. Bérangère sut lire dans les yeux de sa meilleure amie. Elle réagit aussitôt.
- On n'a rien volé, rien abîmé, vous savez. On est juste venus allonger notre copine dans la paille parce qu'elle s'est fait mal.
Christine comprit à son tour la ruse :
- Vous n'êtes pas médecin par hasard ? demanda-t-elle à l'homme en costume de ville.
- Vous n'avez pas une voiture pour la raccompagner chez ses parents ? s'enquit Lucien.
- Ouf ! soupira intérieurement Chloé, ils ont tous compris mon stratagème. Avec un peu de chance, on va pouvoir partir tranquillement.
De fait, le patron baissa le fusil de chasse de son acolyte. Si ces enfants disaient vrai, il valait mieux ne pas éveiller leur attention, ni commettre d’actes suspects qu'ils risquaient de raconter dans le village.
- Excusez-nous, fit-il brusquement aimable. Nous pensions à un rôdeur. On nous en a signalé un. Nous voulions l'intimider.
- Il ment encore mieux que nous, pensa Chloé, impressionnée.
- Va voir à la cave s'il n'y est pas, ordonna le patron au conducteur qui l’accompagnait.
Craignait-il encore de salir ses chaussures ? Toujours est-il qu’il resta près de la porte. Le visage de Bérangère se décomposa. Dans quelques secondes, au milieu des fûts, l'homme armé découvrirait ses compères qui lui expliqueraient tout. Impossible de sortir en catastrophe. L'homme en costume attraperait certainement un enfant au passage... Et Chloé qui ne pouvait pas poser le pied par terre !
Le conducteur se dirigeait lentement vers l'ouverture de ce que les bandits appelaient la cave. Pour l’instant dirigé vers le sol, le canon du fusil pouvait se lever en une fraction de seconde. La fille blonde pensa à Chevalier Noir. Pourquoi ? Elle ne le savait pas. Elle le cherchait des yeux, comme aimantée. C'était plus fort qu'elle. Elle aurait voulu regarder ailleurs qu'elle n'aurait pas pu. Enfin son regard croisa celui de l'oiseau de proie. Il n'avait pas changé de place. L'oiseau « comprenait » la situation ! Il était venu parce qu'il « savait » ! Chloé se sentit à la fois rassurée et effrayée. Rassurée parce qu’elle sentait que Chevalier Noir allait les aider. Effrayée parce qu’un oiseau doué de tel pouvoir c’était incroyable !
Dans l'action qui suivit, Chloé aurait été incapable de dire si elle avait suivi l'oiseau des yeux ou... si c’était elle qui avait guidé le rapace avec son regard !...
L'oiseau défroissa ses ailes, les étendit posément.
L'homme armé, lui, semblait agir plus rapidement. Il approchait de l'escalier. L'oiseau s'envola silencieusement.
A peine de petites poussières de paille brillèrent dans l'air. Les ailes montaient et descendaient au rythme de la respiration d'un dormeur. Encore deux pas et l'homme s'engagerait dans l’escalier. Chevalier Noir au lieu de perdre de la hauteur, en gagnait, s'éloignant de celui qu’il considérait désormais comme sa proie. Puis comme le malfaiteur s'apprêtait à poser sa botte sur la première marche, la buse tomba littéralement à la verticale à une vitesse vertigineuse, les serres grandes ouvertes. Le conducteur hurla de douleur. Les griffes de l'animal lui enserraient les tempes plus sûrement qu'un étau. Déjà le sang coulait. Aveuglé, l’homme porta ses mains à la tête. Mais Chevalier Noir remontait déjà pour une nouvelle attaque.
Chloé gonfla ses poumons à plein. Elle hurla :
- Cléo ! Le fusil !
Echappée des mains du bandit, l'arme traînait là, dans le foin, à côté du pressoir. Sortie d'on ne sait où, Cléopâtre bondit. D'un saut, elle fut sur l'arme, les babines retroussées, prête à défendre jusqu'au dernier souffle, l'objet que sa maîtresse venait de lui ordonner de surveiller.
Epouvanté de la rapidité des animaux dont il n'avait pas soupçonné la présence, le patron se rua vers la porte. Il s'enfuyait lâchement. Au volant de sa camionnette, il serait vite loin, emportant avec lui le secret de toutes ses cachettes mortelles où il avait fait dissimuler des produits fortement toxiques ! Ses mains s'affolèrent sur la poignée ancienne et d'un fonctionnement incertain. Enfin, la porte s'ouvrit. Le soleil pénétra violemment dans la grange. Eblouis, les enfants fermèrent les yeux.
Quand ils les rouvrirent, le patron gisait à terre, à son tour, à l'intérieur du bâtiment. En ombre chinoise, dans l'encadrement de la porte, se découpait nettement une silhouette voûtée et rêche comme un cep de vigne : le météorologue !

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