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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 17

La buse plana. Elle décrivit deux courbes larges dans la lumière avant de se poser sur l'épaule de son maître.
Près de la trappe de la cave, le conducteur s'épongeait le visage du revers de sa manche. Il arriva enfin à rouvrir les yeux. Abasourdi, il ne savait toujours pas qui avait pu l'attaquer ainsi.
Son chef semblait dormir, les bras en croix. Ses chaussures si brillantes tout à l’heure, se recouvraient définitivement de poussière.
Christine rejoignit Cléo au pressoir. Elle saisit le fusil. Elle ouvrit l'arme, en retira les deux cartouches et les glissa dans sa poche.
- Je vais commencer une collection de munitions si cela continue, pensa-t-elle.
Elle caressa la chienne qui lui lécha la joue.
Les trois enfants valides entreprirent de terminer la besogne. Ils dénichèrent des cordes et des ficelles et ligotèrent les deux nouveaux prisonniers.
Pendant ce temps, le mété s'approchait de Chloé. Celle-ci essayait de rassembler ses idées, de chercher des excuses pour expliquer qu'elle et Bérangère ne lui avaient pas encore transmis la traduction. Elle aurait voulu d'un coup lui dire comment elles avaient dû partager le secret de la pierre avec Christine et Lucien.
Le vieil homme s'approchait d'elle. Sans doute sentait-il qu'elle ne pouvait se déplacer. Sa démarche ressemblait au vol du Chevalier Noir quelques minutes plutôt, lente et sûre. Son regard semblait ne rien voir de précis. Le mété s'accroupit aux côtés de la fille blonde.
- Tu as de la chance, remarqua-t-il. Tu es jeune. Les chairs et les tissus sont vigoureux.
Il avait soulevé la cheville souffrante. Il la reposa. Il se releva. Puis sans prononcer d'autres paroles, il sortit.
Christine avait beaucoup entendu parler du mété dans le village, en mal évidemment. Quand elle l'avait vu, elle l'avait pris pour un ennemi.
- Qui c'est le vieux pépé ? ricana Lucien. Vous avez vu comme il a étalé le type ?
Christine se taisait. A la campagne, elle le savait, il y a les choses dont on parle et celles que l'on tait. Le mété appartenait aux secondes.
- Il s'appelle Augustin, lui répondit Bérangère. C'est un vieil original sympathique...
- Sympathique ? faillit s'étouffer Christine. Ce n’est pas l’avis des gens du village !
- Il vient de nous aider à capturer des malfaiteurs, non ? fit remarquer Chloé.
- Et de nous sauver la vie ! compléta Bérangère.
- N'empêche, il est rudement costaud, siffla Lucien, admiratif. On a eu de la chance qu'il passe par là au bon moment.
Il eut une sorte de prise de conscience. Mais comment avait-il su que l’homme à la cravate était un bandit ?
- Bah ! Avec l'Augustin, il ne faut pas vouloir tout comprendre, philosopha Chloé.
- C'est lui qui a envoyé la buse, j'en suis sûre, déclara Christine d'un air entendu.
L'entrée du mété interrompit la discussion. Il s'agenouilla près de Chloé. Il sortit de ses poches les herbes qu’il venait de cueillir. Sans prononcer un mot, il composa une sorte de pommade compliquée où se mélangeaient, entre autres, des fleurs mauves, des tiges à la sève laiteuse et quelques pincées d'une terre rouge et poudreuse.
Chloé rompit le silence :
- Votre crise est finie ?
Elle parlait du début de paralysie qui frappait le mété de temps en temps.
- Oui. Jusqu'à la prochaine fois, répondit sobrement le vieillard.
Ses mains pétrissaient, malaxaient puis étalaient délicatement la pommade sur la cheville de l'enfant. A son grand étonnement, la fille blonde sentait la douleur desserrer sa morsure. Une chaleur bienfaisante la chassait. Bientôt le mété eut terminé. Il se releva en époussetant ses genoux.
- Voilà ! conclut-t-il. Quand tes parents arriveront, il n'y paraîtra plus. Je m'en serais voulu de te rendre à eux en mauvaise santé.
- Mes parents ? s'exclama Chloé, interloquée.
- Et les gendarmes ! ajouta le vieil homme, une lueur dans l'œil.
Eberlués, les enfants restèrent muets. D'un geste doux et ferme, le mété leur signifia de s'asseoir. Ils firent cercle autour de lui. Cléopâtre se glissa entre ses deux maîtresses. On se serait cru au temps passé, quand le soir les membres d'une famille s'assemblaient devant la cheminée pour écouter les histoires du patriarche.
Il s'adressa d'abord aux deux filles à qui il avait confié la mission de retrouver le texte de Monillon.
- J'ai rencontré Félix qui m'a fait part de ses découvertes à la bibliothèque d'Argenton au sujet de la Chapelle. Vous tardiez à me rendre visite. Cela m'a donné un mauvais pressentiment. Je suis allé voir le père de Chloé et je lui ai expliqué la situation...
Le mété s'exprimait sans détails inutiles, d'une voix claire, un peu rauque. Il raconta comment Julien s'était proposé de téléphoner à Madame Mérialler. Malgré ses réticences, l'Augustin qui n'avait jamais voulu installer le téléphone chez lui et qui n'en avait jamais utilisé, avait fini par accepter. La bibliothécaire avait confirmé que les enfants étaient en possession de la traduction. Elle avait lu celle-ci à Julien tandis que le mété en prenait note. Ensuite le père et le vieil homme s'étaient dirigés vers l'entrée du mûrier. Ils avaient découvert la dalle de l'oubliette bloquée et plus loin la cage et l'effondrement de terrain qui leur interdirent le passage. Très préoccupé, Julien avait décidé de prévenir la gendarmerie pour effectuer des recherches. L'Augustin suivit le même raisonnement que les deux apprenties détectives et se rendit lui à la maison du vigneron, Les Vigneux.
- D'autant que je savais que cette maison appartenait autrefois à ma famille, précisa-t-il.
En chemin, il rencontra Alfred mécontent : son petit fils tardait à rentrer. On l'avait vu jouer avec Christine dont la mère était sans nouvelle.
Ensuite Chloé et Bérangère racontèrent comment elles s'étaient rendues dans le souterrain pour délivrer Lucien, ainsi que les événements qui en découlèrent : la libération de Christine et celle de Lucien, la neutralisation des pollueurs.
- Ils sont là ! Ils sont retrouvés !
Julien entrait dans la grange. Il exprimait sa joie. Deux gendarmes le suivaient.
- Je vous l'avais bien dit, fit l'un d'eux. A la campagne, on ne se perd pas.
Le mété retira discrètement sa mixture de la cheville de Chloé à qui il chuchota :
- Allez, tu peux marcher maintenant. Celle-ci se leva. Elle ne sentait plus aucune douleur ! Elle courut dans le bras de son père.
Lucien attira les gendarmes vers les prisonniers :
- Je vais vous expliquer... commença-t-il.
Un nouvel arrivant entra. Il se présenta :
- Bonjour, fit-il à l'adresse des gendarmes. Bertrand Tullier, photographe à la Voix du Berry, journaliste. Au commissariat, on m’a dit que vous étiez sur une disparition d'enfants. Je suis venu à tout hasard.
- Ils sont retrouvés.
- Je vais vous expliquer... recommença Lucien qui entraîna le journaliste. Vous pouvez dire que vous tombez à pic... Vous tenez un article superbe...
Le photographe prit cliché sur cliché, enfermant tous les présents dans sa boîte.

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