La buse plana. Elle décrivit deux courbes larges dans la
lumière avant de se poser sur l'épaule de son maître.
Près de la trappe de la cave, le conducteur s'épongeait
le visage du revers de sa manche. Il arriva enfin à
rouvrir les yeux. Abasourdi, il ne savait toujours pas qui
avait pu l'attaquer ainsi.
Son chef semblait dormir, les bras en croix. Ses chaussures
si brillantes tout à l’heure, se recouvraient définitivement
de poussière.
Christine rejoignit Cléo au pressoir. Elle saisit le fusil.
Elle ouvrit l'arme, en retira les deux cartouches et les
glissa dans sa poche.
- Je vais commencer une collection de munitions si cela
continue, pensa-t-elle.
Elle caressa la chienne qui lui lécha la joue.
Les trois enfants valides entreprirent de terminer la
besogne. Ils dénichèrent des cordes et des ficelles et
ligotèrent les deux nouveaux prisonniers.
Pendant ce temps, le mété s'approchait de Chloé. Celle-ci
essayait de rassembler ses idées, de chercher des
excuses pour expliquer qu'elle et Bérangère ne lui
avaient pas encore transmis la traduction. Elle aurait
voulu d'un coup lui dire comment elles avaient dû partager
le secret de la pierre avec Christine et Lucien.
Le vieil homme s'approchait d'elle. Sans doute sentait-il
qu'elle ne pouvait se déplacer. Sa démarche ressemblait
au vol du Chevalier Noir quelques minutes plutôt, lente
et sûre. Son regard semblait ne rien voir de précis. Le
mété s'accroupit aux côtés de la fille blonde.
- Tu as de la chance, remarqua-t-il. Tu es jeune. Les
chairs et les tissus sont vigoureux.
Il avait soulevé la cheville souffrante. Il la reposa. Il se
releva. Puis sans prononcer d'autres paroles, il sortit.
Christine avait beaucoup entendu parler du mété dans le
village, en mal évidemment. Quand elle l'avait vu, elle
l'avait pris pour un ennemi.
- Qui c'est le vieux pépé ? ricana Lucien. Vous avez vu
comme il a étalé le type ?
Christine se taisait. A la campagne, elle le savait, il y a
les choses dont on parle et celles que l'on tait. Le mété
appartenait aux secondes.
- Il s'appelle Augustin, lui répondit Bérangère. C'est un
vieil original sympathique...
- Sympathique ? faillit s'étouffer Christine. Ce n’est pas
l’avis des gens du village !
- Il vient de nous aider à capturer des malfaiteurs, non ?
fit remarquer Chloé.
- Et de nous sauver la vie ! compléta Bérangère.
- N'empêche, il est rudement costaud, siffla Lucien,
admiratif. On a eu de la chance qu'il passe par là au bon
moment.
Il eut une sorte de prise de conscience. Mais comment
avait-il su que l’homme à la cravate était un bandit ?
- Bah ! Avec l'Augustin, il ne faut pas vouloir tout comprendre,
philosopha Chloé.
- C'est lui qui a envoyé la buse, j'en suis sûre, déclara
Christine d'un air entendu.
L'entrée du mété interrompit la discussion. Il s'agenouilla
près de Chloé. Il sortit de ses poches les herbes qu’il
venait de cueillir. Sans prononcer un mot, il composa
une sorte de pommade compliquée où se mélangeaient,
entre autres, des fleurs mauves, des tiges à la sève
laiteuse et quelques pincées d'une terre rouge et poudreuse.
Chloé rompit le silence :
- Votre crise est finie ?
Elle parlait du début de paralysie qui frappait le mété de
temps en temps.
- Oui. Jusqu'à la prochaine fois, répondit sobrement le
vieillard.
Ses mains pétrissaient, malaxaient puis étalaient délicatement
la pommade sur la cheville de l'enfant. A son
grand étonnement, la fille blonde sentait la douleur
desserrer sa morsure. Une chaleur bienfaisante la chassait.
Bientôt le mété eut terminé. Il se releva en époussetant
ses genoux.
- Voilà ! conclut-t-il. Quand tes parents arriveront, il n'y
paraîtra plus. Je m'en serais voulu de te rendre à eux en
mauvaise santé.
- Mes parents ? s'exclama Chloé, interloquée.
- Et les gendarmes ! ajouta le vieil homme, une lueur
dans l'œil.
Eberlués, les enfants restèrent muets. D'un geste doux
et ferme, le mété leur signifia de s'asseoir. Ils firent
cercle autour de lui. Cléopâtre se glissa entre ses deux
maîtresses. On se serait cru au temps passé, quand le
soir les membres d'une famille s'assemblaient devant la
cheminée pour écouter les histoires du patriarche.
Il s'adressa d'abord aux deux filles à qui il avait confié la
mission de retrouver le texte de Monillon.
- J'ai rencontré Félix qui m'a fait part de ses découvertes
à la bibliothèque d'Argenton au sujet de la Chapelle.
Vous tardiez à me rendre visite. Cela m'a donné un
mauvais pressentiment. Je suis allé voir le père de
Chloé et je lui ai expliqué la situation...
Le mété s'exprimait sans détails inutiles, d'une voix
claire, un peu rauque. Il raconta comment Julien s'était
proposé de téléphoner à Madame Mérialler. Malgré
ses réticences, l'Augustin qui n'avait jamais voulu
installer le téléphone chez lui et qui n'en avait
jamais utilisé, avait fini par accepter. La bibliothécaire
avait confirmé que les enfants étaient en possession de
la traduction. Elle avait lu celle-ci à Julien tandis que le
mété en prenait note. Ensuite le père et le vieil homme
s'étaient dirigés vers l'entrée du mûrier. Ils avaient découvert
la dalle de l'oubliette bloquée et plus loin la cage
et l'effondrement de terrain qui leur interdirent le passage.
Très préoccupé, Julien avait décidé de prévenir la
gendarmerie pour effectuer des recherches. L'Augustin
suivit le même raisonnement que les deux apprenties
détectives et se rendit lui à la maison du vigneron, Les
Vigneux.
- D'autant que je savais que cette maison appartenait
autrefois à ma famille, précisa-t-il.
En chemin, il rencontra Alfred mécontent : son petit fils
tardait à rentrer. On l'avait vu jouer avec Christine dont
la mère était sans nouvelle.
Ensuite Chloé et Bérangère racontèrent comment elles
s'étaient rendues dans le souterrain pour délivrer Lucien,
ainsi que les événements qui en découlèrent : la libération
de Christine et celle de Lucien, la neutralisation des
pollueurs.
- Ils sont là ! Ils sont retrouvés !
Julien entrait dans la grange. Il exprimait sa joie. Deux
gendarmes le suivaient.
- Je vous l'avais bien dit, fit l'un d'eux. A la campagne,
on ne se perd pas.
Le mété retira discrètement sa mixture de la cheville de
Chloé à qui il chuchota :
- Allez, tu peux marcher maintenant. Celle-ci se leva.
Elle ne sentait plus aucune douleur ! Elle courut dans le
bras de son père.
Lucien attira les gendarmes vers les prisonniers :
- Je vais vous expliquer... commença-t-il.
Un nouvel arrivant entra. Il se présenta :
- Bonjour, fit-il à l'adresse des gendarmes. Bertrand
Tullier, photographe à la Voix du Berry, journaliste. Au
commissariat, on m’a dit que vous étiez sur une disparition
d'enfants. Je suis venu à tout hasard.
- Ils sont retrouvés.
- Je vais vous expliquer... recommença Lucien qui entraîna
le journaliste. Vous pouvez dire que vous tombez
à pic... Vous tenez un article superbe...
Le photographe prit cliché sur cliché, enfermant tous les
présents dans sa boîte.