La présence de la pierre rendait cette approche mystérieuse.
La veille, sous le charme de l'Augustin, elles avaient
espéré découvrir un trésor. Puis, décontenancées , elles
avaient accepté de simples recherches dans une bibliothèque
poussiéreuse. Ensuite, la fièvre tombée, méfiantes
à l'égard du vieil homme, elles avaient tenu à
vérifier son histoire.
Tout à coup, cette pierre les replongeait dans une atmosphère
énigmatique. Elles sentaient peser sur elles les
dangers du souterrain. Elles auraient juré que des pillards
surgis du passé les guettaient, menaçaient de
nouveau le village.
Les pas s'introduisaient dans le tunnel, hésitaient...
- J'ai peur, murmura Chloé.
Elle se rapprocha de Bérangère. Elle braqua le faisceau
de la lampe électrique sur le tunnel.
- Cléopâtre ! s'extasia-t-elle rassurée.
Les filles caressèrent la chienne. Ce geste sans importance
dissipa la tension qui s'était emparée d'elles. Cléo
s'écarta, s'accroupit près de la fameuse dalle et elle
urina dessus. Les deux filles éclatèrent de rire. L'acte
naturel de la chienne les faisait redescendre dans la
réalité de la vie quotidienne. Il leur rappelait qu'une
pierre n’était qu’une pierre après tout.

Les filles caressèrent l'animal. Puis Chloé se remit à
l'ouvrage. Elle s’appliqua à racler la terre autour de la
marche. Un dallage apparut, régulier. Elle en nettoya le
tour. Bérangère évacuait la poussière, les morceaux de
racines et les débris de terre.
Pendant ce temps Cléopâtre batifolait, jouait avec sa
queue comme un chiot, courait après un insecte, l'agaçait
de sa patte. Ensuite elle attrapa un mulot avec
lequel elle s'amusa. Elle lui laissait un peu de liberté, il
s'enfuyait. Aussitôt elle lui sautait dessus, veillant cruellement
à lui laisser suffisamment de vie pour que le
manège continue. Chloé s'arrêta et la regarda. Vraiment
cette chienne était comme aucune autre. Jamais la fille
blonde n'avait vu pareils jeux à une chienne. Elle en
venait à se poser des questions sur sa bonne santé
mentale quand soudain il se produisit un incident surprenant.
Cléo avait abandonné le rongeur sur une dalle
d'apparence normale. Elle s'était éloignée à reculons. Le
mulot mal en point se redressa péniblement. Il esquissa
quelques pas. Le voyant reprendre vie, la chienne,
vigilante, prit son élan, effectua un bond assez haut et
retomba sur sa proie. A cet instant précis, la dalle où se
trouvaient les deux animaux s'enfonça de quelques
centimètres dans le sol, tandis que la pierre gravée se
déplaçait doucement en émettant un crissement.

Stupéfaites, les filles se figèrent sans voix. Cléo abandonna
son jouet. Elle se mit en arrêt, grogna, jetant
parfois un regard interrogateur à ses maîtresses.
La marche poursuivait inexorablement son chemin. Elle
découvrait derrière elle un trou ovale, noir comme un
four.
Le mulot avait retrouvé du tonus. Dans un dernier effort,
il rampa jusqu'à l'ouverture. Il s'y précipita. Cléo, furieuse
de le perdre, aboya. Elle s'approcha du trou. Les
pattes de devant à plat, elle huma l'air.
- Tu restes ici ! Tu ne descends pas !
Curieuse, Chloé se saisit de la lampe torche. Elle éclaira
l'entrée mystérieuse qui venait de s’ouvrir. Heureuse,
Cléo suivait le mouvement du faisceau lumineux : une
sorte de puits d'environ deux mètres de profondeur
s'enfonçait dans le sol. Sur la paroi, s'agrippaient des
barreaux en fer rouillé.

Au fond, la lumière électrique s’arrêta sur le mulot. La
chienne aperçut sa proie, aboya brièvement et se jeta
dans le trou. Le bruit sourd de sa chute produisit un
écho. Chloé jura. A plus d'une hauteur d'homme en-dessous
d'elle, Cléo se relevait et disparaissait. Sans
réfléchir, la fille blonde ordonna à sa compagne :
- Prends une corde !
Puis elle dévala l'échelle de fer. Bérangère suffoqua.
Dans un souffle, elle cria :
- Mais on avait dit que...
La voix étranglée, elle termina :
- ...on n'entrerait pas !
Résignée, la fille brune prit son sac à dos avec un geste
de mauvaise humeur. Elle s'aida des barreaux à son
tour. Ses semelles marquaient chaque échelon pesamment.
La moutarde montait au nez de Bérangère.
- Vite ! la pressa Chloé. Apporte la corde ! Je vais la
ligoter cette chienne de malheur. La saucissonner ! La
mettre aux croquettes et à l'eau pendant une semaine !
Cléopâtre n'appréciait pas du tout les croquettes.
Arrivée en bas, Bérangère découvrit une galerie horizontale,
au plafond voûté. Un peu plus loin, Cléo faisait
face, elle s'amusait avec son mulot. Chloé la tenait par
la peau du cou. Bérangère passa la tête et les cuisses de
la chienne au travers de la corde à la façon des attelages
de chiens de traîneau. Puis elle explosa.
- On avait dit qu’on réfléchirait avant d'entrer dans le
souterrain, hurla-t-elle. Tu sais qu’on peut mourir ici,
espèce de nulle ! Mourir, tu sais ce que cela veut dire ?
- Tu crois qu'elle a réfléchi, elle, répliqua Chloé sur le
même ton en désignant Cléopâtre.

La querelle dura encore. Les voix résonnaient dans le
boyau de pierre. Cléopâtre, elle, ne s'intéressait qu'à son
jouet vivant. Insouciante, elle taquinait le mulot du bout
des pattes. Soudain, elle effectua un saut sur place et
déclencha un piège ! Sous son poids, la dalle où elle
était venait de disparaître ! La pierre s’était ouverte
comme la porte d’une trappe. La chienne tomba
dans le nouveau trou qui occupait toute la
largeur du souterrain. Entraînée par l'animal, Bérangère
s'étala à plat ventre. A l'autre bout de la laisse, Cléopâtre
aboyait, s'agitait, les pattes dans le vide. Bérangère
glissait sans trouver d'aspérités pour se retenir.

Affolée, elle disputa Chloé :
- Fais quelque chose ! Tu vois bien que je glisse. Je
tombe dans le trou. Tom-ber ! Tu comprends ?
Chloé réagit enfin. Elle agrippa les chevilles de son amie
qui s'immobilisa.
- Ouf ! fit celle-ci. Il était temps !
- Qu'allons-nous faire ? se demanda Chloé. Si je te
lâche, vous tombez. Et je n'arrive pas à tirer.
Bérangère, le nez au ras de ce qu'il convenait d'appeler
une oubliette, essayait de calmer Cléopâtre :
- Doucement, doucement. Comment veux-tu que je te
remonte si tu gigotes comme cela ?
Après deux ou trois minutes d'efforts de part et d'autre,
la situation s'avéra bloquée : impossible à Bérangère de
remonter la chienne, impossible à Chloé de tirer suffisamment
son amie pour sortir la chienne du trou.
- Je t'assure que cette chienne, je vais la... commença à
pester la fille blonde.