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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 4

La présence de la pierre rendait cette approche mystérieuse.
La veille, sous le charme de l'Augustin, elles avaient espéré découvrir un trésor. Puis, décontenancées , elles avaient accepté de simples recherches dans une bibliothèque poussiéreuse. Ensuite, la fièvre tombée, méfiantes à l'égard du vieil homme, elles avaient tenu à vérifier son histoire.
Tout à coup, cette pierre les replongeait dans une atmosphère énigmatique. Elles sentaient peser sur elles les dangers du souterrain. Elles auraient juré que des pillards surgis du passé les guettaient, menaçaient de nouveau le village.
Les pas s'introduisaient dans le tunnel, hésitaient...
- J'ai peur, murmura Chloé.
Elle se rapprocha de Bérangère. Elle braqua le faisceau de la lampe électrique sur le tunnel.
- Cléopâtre ! s'extasia-t-elle rassurée.
Les filles caressèrent la chienne. Ce geste sans importance dissipa la tension qui s'était emparée d'elles. Cléo s'écarta, s'accroupit près de la fameuse dalle et elle urina dessus. Les deux filles éclatèrent de rire. L'acte naturel de la chienne les faisait redescendre dans la réalité de la vie quotidienne. Il leur rappelait qu'une pierre n’était qu’une pierre après tout.
Les filles caressèrent l'animal. Puis Chloé se remit à l'ouvrage. Elle s’appliqua à racler la terre autour de la marche. Un dallage apparut, régulier. Elle en nettoya le tour. Bérangère évacuait la poussière, les morceaux de racines et les débris de terre.
Pendant ce temps Cléopâtre batifolait, jouait avec sa queue comme un chiot, courait après un insecte, l'agaçait de sa patte. Ensuite elle attrapa un mulot avec lequel elle s'amusa. Elle lui laissait un peu de liberté, il s'enfuyait. Aussitôt elle lui sautait dessus, veillant cruellement à lui laisser suffisamment de vie pour que le manège continue. Chloé s'arrêta et la regarda. Vraiment cette chienne était comme aucune autre. Jamais la fille blonde n'avait vu pareils jeux à une chienne. Elle en venait à se poser des questions sur sa bonne santé mentale quand soudain il se produisit un incident surprenant. Cléo avait abandonné le rongeur sur une dalle d'apparence normale. Elle s'était éloignée à reculons. Le mulot mal en point se redressa péniblement. Il esquissa quelques pas. Le voyant reprendre vie, la chienne, vigilante, prit son élan, effectua un bond assez haut et retomba sur sa proie. A cet instant précis, la dalle où se trouvaient les deux animaux s'enfonça de quelques centimètres dans le sol, tandis que la pierre gravée se déplaçait doucement en émettant un crissement.
Stupéfaites, les filles se figèrent sans voix. Cléo abandonna son jouet. Elle se mit en arrêt, grogna, jetant parfois un regard interrogateur à ses maîtresses.
La marche poursuivait inexorablement son chemin. Elle découvrait derrière elle un trou ovale, noir comme un four.
Le mulot avait retrouvé du tonus. Dans un dernier effort, il rampa jusqu'à l'ouverture. Il s'y précipita. Cléo, furieuse de le perdre, aboya. Elle s'approcha du trou. Les pattes de devant à plat, elle huma l'air.
- Tu restes ici ! Tu ne descends pas !
Curieuse, Chloé se saisit de la lampe torche. Elle éclaira l'entrée mystérieuse qui venait de s’ouvrir. Heureuse, Cléo suivait le mouvement du faisceau lumineux : une sorte de puits d'environ deux mètres de profondeur s'enfonçait dans le sol. Sur la paroi, s'agrippaient des barreaux en fer rouillé.
Au fond, la lumière électrique s’arrêta sur le mulot. La chienne aperçut sa proie, aboya brièvement et se jeta dans le trou. Le bruit sourd de sa chute produisit un écho. Chloé jura. A plus d'une hauteur d'homme en-dessous d'elle, Cléo se relevait et disparaissait. Sans réfléchir, la fille blonde ordonna à sa compagne :
- Prends une corde !
Puis elle dévala l'échelle de fer. Bérangère suffoqua. Dans un souffle, elle cria :
- Mais on avait dit que...
La voix étranglée, elle termina :
- ...on n'entrerait pas !
Résignée, la fille brune prit son sac à dos avec un geste de mauvaise humeur. Elle s'aida des barreaux à son tour. Ses semelles marquaient chaque échelon pesamment. La moutarde montait au nez de Bérangère.
- Vite ! la pressa Chloé. Apporte la corde ! Je vais la ligoter cette chienne de malheur. La saucissonner ! La mettre aux croquettes et à l'eau pendant une semaine !
Cléopâtre n'appréciait pas du tout les croquettes.
Arrivée en bas, Bérangère découvrit une galerie horizontale, au plafond voûté. Un peu plus loin, Cléo faisait face, elle s'amusait avec son mulot. Chloé la tenait par la peau du cou. Bérangère passa la tête et les cuisses de la chienne au travers de la corde à la façon des attelages de chiens de traîneau. Puis elle explosa.
- On avait dit qu’on réfléchirait avant d'entrer dans le souterrain, hurla-t-elle. Tu sais qu’on peut mourir ici, espèce de nulle ! Mourir, tu sais ce que cela veut dire ?
- Tu crois qu'elle a réfléchi, elle, répliqua Chloé sur le même ton en désignant Cléopâtre.
La querelle dura encore. Les voix résonnaient dans le boyau de pierre. Cléopâtre, elle, ne s'intéressait qu'à son jouet vivant. Insouciante, elle taquinait le mulot du bout des pattes. Soudain, elle effectua un saut sur place et déclencha un piège ! Sous son poids, la dalle où elle était venait de disparaître ! La pierre s’était ouverte comme la porte d’une trappe. La chienne tomba dans le nouveau trou qui occupait toute la largeur du souterrain. Entraînée par l'animal, Bérangère s'étala à plat ventre. A l'autre bout de la laisse, Cléopâtre aboyait, s'agitait, les pattes dans le vide. Bérangère glissait sans trouver d'aspérités pour se retenir.
Affolée, elle disputa Chloé :
- Fais quelque chose ! Tu vois bien que je glisse. Je tombe dans le trou. Tom-ber ! Tu comprends ?
Chloé réagit enfin. Elle agrippa les chevilles de son amie qui s'immobilisa.
- Ouf ! fit celle-ci. Il était temps !
- Qu'allons-nous faire ? se demanda Chloé. Si je te lâche, vous tombez. Et je n'arrive pas à tirer.
Bérangère, le nez au ras de ce qu'il convenait d'appeler une oubliette, essayait de calmer Cléopâtre :
- Doucement, doucement. Comment veux-tu que je te remonte si tu gigotes comme cela ?
Après deux ou trois minutes d'efforts de part et d'autre, la situation s'avéra bloquée : impossible à Bérangère de remonter la chienne, impossible à Chloé de tirer suffisamment son amie pour sortir la chienne du trou.
- Je t'assure que cette chienne, je vais la... commença à pester la fille blonde.

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