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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 6

Sous les caresses, Cléopâtre reprenait goût à la vie. Elle se releva, s'ébroua, décrivit plusieurs cercles avec son museau pour se dégourdir le cou. Finalement, elle sollicita d'autres câlins.
- Elle n'a pas l'air d'avoir mal, remarqua Bérangère. Elle est juste un peu choquée. Si seulement elle n'avait pas sauté sur la pierre et déclenché l'ouverture du puits !
- Je me demande pourquoi le mécanisme ne s'est pas mis en route quand j'étais à quatre pattes dessus en train de gratter, s'interrogea Chloé pensivement.
- Bah ! Depuis le temps qu'il n'a pas servi, il a eu du mal à fonctionner.
- Dis-moi, comment on s’y prend pour que ce fameux Lucien ne revienne pas rôder par ici ?
- Tu penses aussi qu'il attend qu’on ait le dos tourné pour revenir explorer le souterrain ? demanda Bérangère.
- J’en ai peur, lui répondit sa copine. Surtout qu'il connaît le fonctionnement de l'ouverture maintenant. C’est la galère. Le mété nous avait prévenues du danger. Il ne va pas être content qu’on ait trahi son secret.
Cléopâtre trottina vers la sortie du buisson de ronces.
- On rentre ? suggéra Chloé.
- Oui, approuva Bérangère. Ce serait bien si Félix nous accompagnait à Argenton cet après-midi. Cela accélérerait les recherches à la bibliothèque. Il faut aller plus vite que Lucien.
- Tu crois qu'il va découvrir quelque chose ?
- Non, mais il peut risquer sa vie bêtement en explorant seul le souterrain.
- Ecoute. Il faut absolument le prévenir des dangers qu'il court, décida la fille blonde. Cet après-midi, on ira chez Alfred pour avertir Lucien qu’il y a des pièges...
- Il ne nous croira pas, la coupa la fille brune. Il pensera qu’on veut garder l’endroit pour nous toutes seules...
- On trouvera des arguments convaincants. Il le faut. Ensuite on doit convaincre Félix de nous conduire à la bibliothèque.
- D'accord, approuva Bérangère.
Elles arrivaient maintenant aux bicyclettes.

~~~~~~

Après le repas, elles se séparèrent. Chloé qui connaissait le village comme sa poche se rendit chez Alfred prévenir Lucien pendant que Bérangère rendait visite à Félix.
Elles s’étaient donné rendez-vous près de l'ancien lavoir. Bérangère arriva la première. Elle attendit trop longtemps à son goût. Son amie, accompagnée de Cléopâtre, finit par la rejoindre.
- Alors ? s'enquit Bérangère, soucieuse.
- Alors ? répéta Chloé, curieuse.
Une des deux devait commencer à rendre compte de sa mission. La fille blonde se dévoua :
- Aucune trace de Lucien ni de son grand-père. D'après les voisins, ils seraient partis chez des cousins, ils ne devraient revenir que ce soir.
- Aïe ! réagit Bérangère. Lucien n'est pas prévenu.
- D'un autre côté, remarqua justement Chloé. Il n'explorera pas le souterrain cet après-midi. On a du temps devant nous. Et toi ?
Bérangère sourit. Elle avait convaincu Félix d'aller à Argenton l'après-midi même.
- Il est content de trouver quelque chose à faire. Il s'ennuyait. On a rendez-vous chez lui à trois heures.
- Il t'a posé des questions ?
- Non, pas vraiment. Il s'est juste inquiété de savoir si tes parents étaient d’accord.
- On ne leur a pas demandé, se rappela soudain Chloé.
- Maintenant, c'est fait, rayonna Bérangère. Ils sont d'accord. Je viens de demander l’autorisation à ta mère.
- Très bien !

~~~~~~

Félix conduisait. L'automobile empruntait la route sinueuse du bord de Creuse, large et calme rivière aux crues si soudaines. Les arbres, fiers, y miraient leurs vastes silhouettes décharnées. Quelquefois des masures et des granges s'agglutinaient le long de la chaussée comme si elles y puisaient la vie. Mutin, le soleil bas de la mauvaise saison parvenait parfois à darder ses rayons francs et chaleureux entre les nuages.
- Vous savez que ce n'est pas une bibliothèque de prêt. On consulte seulement les ouvrages sur place, avertit Félix.
- Oui, on est au courant. On va en reconnaissance. Je suis certaine qu’on trouvera des tas de documents intéressants, expliqua Bérangère.
- Et tes recherches sur la chapelle de Lorme ? s'enquit Chloé à l'intention du conducteur.
- Je voudrais vérifier ses origines, commença Félix. Il semblerait qu'elle date du XVIe siècle...
Les filles prirent soin de continuer cette conversation afin de ne pas avoir à expliquer leur visite si soudaine à la bibliothèque.
Lorsqu’ils furent parvenus à destination, Félix présenta Bérangère et Chloé à Madame Mérialler, une grande femme énergique et douce qui veillait jalousement sur les rayonnages. Le jeune homme s'isola à une table en compagnie d'une dizaine de livres.
D’abord, les filles se promenèrent sans but précis entre les étagères. Puis elles finirent par s'approcher de la bibliothécaire.
- Vous désirez un ouvrage ? demanda la dame prévenante.
- On vient de la part d'Augustin, commença Bérangère.
- Il ne peut pas se déplacer en ce moment à cause de ses jambes qui lui font mal, compléta Chloé.
- Il nous envoie à sa place, précisa la fille brune. Il voudrait des renseignements que vous seule pouvez lui fournir.
- Ce cher Augustin. Il se souvient donc de moi, s'amusa madame Mérialler. Vous êtes de sa famille ? Non, vous ne ressemblez pas à des Berrichonnes. Se faire assister de deux fillettes, heu ! non, de deux... presque jeunes filles, excusez-moi. Voilà une idée saugrenue qui lui ressemble. Que désire-t-il ?
Le souvenir du météorologue semblait replonger la bibliothécaire dans de tendres souvenirs qui illuminaient son visage.
- Dans le temps, un certain Monillon, un moine, a été hébergé par la communauté religieuse de la ville. Il y aurait laissé ses mémoires , exposa Bérangère.
Chloé prit le relais :
- Ce Monillon a vécu à Lorme pendant plusieurs années. L'Augustin aimerait savoir ce qu'il a écrit sur le village.
- En particulier, sur une cachette souterraine que ses aïeux avaient creusée à une époque de troubles.
La grande femme les avait regardées alternativement durant les explications. Elle manifesta son admiration par une légère inclination de la tête :
- Au moins, vous possédez bien votre sujet. Votre maître brille par son érudition. Elle s'emporta presque. Il aurait dû poursuivre des études. Comment se contenter des vaches ? demanda-t-elle avec un mépris sensible. Avec les dons dont la nature l'a comblé ! Revenons à ce qui me vaut votre visite... Monillon... La Congrégation ... Les archives ont échoué ici, c’est exact... Le manuscrit , fort ancien, et par miracle assez bien conservé, est malheureusement en latin. Revenez la semaine prochaine... Je pense que je vous aurai alors le renseignement.
L'expression des visages des « presque jeunes filles » changea soudain. La bibliothécaire put y lire une énorme déception. Elle chercha à répondre à cette tristesse muette.
- Je dois relire l'ouvrage. Je lisais le latin couramment, mais voici assez longtemps que je ne l'ai pas fréquenté. Les mines des filles se défirent un peu plus.
- Peut-être qu'en me donnant deux ou trois heures, essaya timidement madame Mérialler, je pourrais peut-être retrouver le passage... Mais je ne peux garantir le résultat, ajouta-t-elle avec fermeté.
Les sourires de Bérangère et Chloé rivalisèrent de gaieté.
- Nous vous remercions beaucoup, s'anima la fille blonde. Nous pouvons nous rendre utiles si vous le désirez.
- Pourquoi, vous avez appris le latin ? s'étonna leur interlocutrice.
- Non, rectifia Bérangère, mais nous savons poser des étiquettes, remplir des fiches, porter des livres.
- Excellente idée, vous êtes de braves filles, s'enthousiasma la dame. Des piles d'ouvrages attendent au grenier. La fragilité de mon dos ne me permet pas de les porter.

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