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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 7

Les deux heures qui suivirent parurent longues aux filles. Elles descendaient des livres par brassées en empruntant un escalier en colimaçon où elles ne pouvaient pas se croiser. La sueur leur coula bientôt sur le front et dans le cou. La poussière vint s'y coller. Le souffle leur manqua. Elles s'assirent un instant au grenier, face à une fenêtre d'où elles admirèrent béatement l'architecture des maisons accrochées aux escarpements des rives de la Creuse.
Puis elles s'attelèrent de nouveau à la tâche. Cette fois elles ménagèrent leurs forces. Elles n’avaient pas le temps de parler. Elles ne rencontraient personne sur le chemin qui menait du grenier au réduit où elles entassaient méticuleusement les livres.
Le travail achevé, elles se rafraîchirent à un petit évier déniché dans un coin. Ensuite, elles se dirigèrent vers le bureau de la bibliothécaire. Une déception les y attendait. Sur le bureau, pas d'ouvrage ouvert, aucune trace de traduction, à vrai dire les différents objets qui occupaient l'espace de travail n'avaient pas bougé d'un millimètre depuis deux heures. Pire, Madame Mérialler discutait joyeusement à voix basse avec un monsieur.
Chloé crut qu'elle allait éclater de colère. Comment ? La bibliothécaire n’avait rien fait pendant que, toutes les deux, elles avaient sué comme des bêtes de somme ?
Finalement, le monsieur s’en alla, une magnifique reliure à la main.
La bibliothécaire les aperçut :
- Les petites chéries ! Comme elles transpirent. J'ai bien travaillé moi aussi. Venez.
Rassurée, Chloé retrouva son calme.
Madame Mérialler entraîna les filles jusqu'à une sorte d'alcôve envahie de livres, liasses de papier, fiches en tous genres.
- Ne touchez surtout à rien, leur ordonna-t-elle. Mes affaires donnent à s'y méprendre une impression de désordre. Mais je sais où se trouve ce que je cherche.
Elle s'empara d'une grande feuille.
- Par chance, Monillon consacre un chapitre à Lorme. Il raconte des événements du plus grand intérêt... Mais passons. Je vous ai noté ce qui concerne le souterrain. Elle tendit le papier aux enfants.
- Mon écriture se lit facilement. Voyez en haut le texte latin, en bas une traduction rapide. Soyez indulgentes pour le style.
Bérangère et Chloé se confondirent en remerciements. Madame Mérialler leur demanda de transmettre son bon souvenir à l'Augustin. Et elles se séparèrent.
Félix les attendait près de la sortie. A la vue de leur teint rouge, il s'étonna :
- La lecture vous fatigue drôlement, on dirait !
- Heu ! Non, la bibliothécaire est si gentille qu’on n'a pas pu lui refuser un petit travail, bredouilla Bérangère.
- Petit travail... répéta Chloé, songeuse.
- Vous ne voulez pas épousseter les meubles chez moi ? plaisanta Félix.
Les filles n'apprécièrent pas la plaisanterie. Le conducteur changea de conversation.
- Vous n'imaginez pas la mine de documents qui parlent de la chapelle. Elle a été construite entre Lorme et Poirier. Par la suite, elle fut démontée pierre par pierre et remontée au centre du village...
Les filles n’écoutaient pas.
Bérangère serrait dans sa poche la traduction de la bibliothécaire. Chloé et elle mouraient d'envie de la lire. Qu'allaient-elles apprendre ?

Au dîner, Chloé et Bérangère dévorèrent de bon cœur.
- Qu'avez-vous lu à Argenton ? s'informa Julien, le père de la fille blonde.
Sophie répondit à leur place.
- Certainement des recettes de cuisine.
- Pourquoi tu dis cela ? s'étonna Bérangère.
- Parce que vous avez un solide appétit. Feuilleter des recettes, cela donne faim, plaisanta Sophie.
Plus tard dans la chambre, les deux filles déplièrent soigneusement le fameux papier rédigé par Madame Mérialler.
A la suite du texte latin, elles lurent la traduction :
« A Lorme, une famille avait aménagé un refuge sous terre. Une entrée en pleine campagne permettait à ses membres de s'y réfugier si des malfaiteurs les surprenaient dans les activités agricoles.
Deux pièges la protégeaient : une dalle dissimulait une oubliette et une herse circulaire descendait du plafond.
A la demande du patriarche de la famille, j'avais rédigé un avertissement à l'attention des éventuels ennemis ou des curieux. Il fut gravé sur la pierre obturant l'entrée.
Dans la maison du vigneron, une deuxième entrée donnait accès au refuge souterrain.
La troisième entrée s'ouvrait derrière celui qui unit les cœurs, dans une maison proche du Moulin. L'enclume libérait le passage...
Les trois feuilles d'orme protègent et libèrent.»

- Le mété a raison, remarqua Bérangère. L'entrée qu’on a empruntée est la plus dangereuse. On aurait lu ce texte avant, on aurait peut-être évité des mauvaises surprises.
Chloé se gratta la tête. Rétrospectivement, un frisson lui parcourut le dos. Si Cléopâtre n'avait pas déclenché le premier piège, une "herse circulaire", autrement dit une cage, les aurait emprisonnées.
Les enfants s'interrogèrent longuement sur les phrases mystérieuses : pourquoi les trois feuilles d'orme protégeaient-elles et libéraient-elles ? Où était la maison du vigneron ? Existait-elle encore ? Les indications sur la troisième entrée étaient vraiment incompréhensibles.
- Le mété nous expliquera tout cela, philosopha Chloé.
- Tu as raison... Je suis vraiment fatiguée, dit Bérangère...
Puis elle ajouta : Cléo n'est pas très dynamique. Il faudrait la montrer au vétérinaire.
- Elle a eu plus de peur que de mal. Dans un ou deux jours, elle ira mieux, rétorqua Chloé.
- Si demain elle ne va pas mieux, on l’emmènera chez le vétérinaire, décida la fille brune.
- D'accord, en attendant, elle restera à la maison, ac- quiesça Chloé. A propos de demain, le matin je propose que tu ailles porter la traduction au mété pendant que j'irai prévenir Lucien.
- Toi alors, tu es gonflée, s'offusqua Bérangère. Pourquoi j'irai seule chez l'Augustin ? Pourquoi pas toi ?
- Parce que... Parce que tu t'exprimes correctement, chercha à se justifier sa compagne.
- Tu parles ! pouffa l'autre. Tu as peur, oui !
- Peur de quoi ? protesta Chloé d'un ton qui prouvait que Bérangère avait vu juste.
- Peur de lui. Evidemment, expliqua la brune. S'il posait des questions sur ce qu’on a fait, tu te sentirais à l'aise ?
Chloé hésita. Devait-elle se vanter de pouvoir affronter une telle situation ? Dans ce cas, elle ne pourrait plus refuser d'aller voir le mété. Ou pouvait-elle avouer sa peur ? Là, elle reconnaissait qu'envoyer Bérangère seule n'était pas très sympathique. Elle trouva une solution :
- On n'a rien fait de mal, mais si tu préfères on ira ensemble chez le mété. Ensuite on avertira ensemble Lucien, d'accord ?
Bérangère triompha. Une pointe d'ironie perça de ses paroles.
- Entendu, je t'accompagne chez le vieux. Tu parleras, toi !
Cléo gratta à la porte. La fille blonde lui ouvrit. La chienne paraissait remise de ses mésaventures du matin. Elle s'installa sur le lit entre les filles.
- Tu éteins ? demanda Chloé.
La pièce fut plongée dans le noir.

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