Le
lendemain matin, les enfants se débarrassèrent rapidement
de la corvée de la toilette. Elles avalèrent le petit
déjeuner. Julien et Sophie, les cheveux ébouriffés, les
yeux encore ensommeillés les regardèrent sans trop
comprendre.
- Rassurez-moi, supplia faussement le père. Il n'y a pas
d'école aujourd'hui ?
- C'est malin, répondit Chloé qui enfilait ses bottes.
Bérangère boutonnait son blouson.
- Les jours de vacances, il faut se lever tôt et profiter de
la journée, expliqua-t-elle.
- D'accord, rit Sophie. Dorénavant, je vous réveillerai à
sept heures. Finies les grasses matinées.
~~~~~~
Dans la montée du Chêne-Mort, les filles échangèrent
leurs impressions. Elles marchaient côte à côte sans
Cléopâtre.
- La troisième entrée se trouve sans doute dans la
maison du mété, supposa Bérangère.
- Tu crois qu'il sait déjà où elle est ? s'enquit sa camarade.
- Je ne vois pas pourquoi il nous demanderait ce qu'il
sait déjà, objecta la fille brune, à moins qu'il nous cache
ses vraies intentions.
- Je me méfie de lui. Pourtant je lui fais confiance.
Bizarre, confia Chloé, pensive. En tous cas, je crois
savoir où est la deuxième entrée ! continua-t-elle
contente.
- Ha ! fit Bérangère surprise.
- Même s'ils se transforment, les noms de lieux restent
presque toujours les mêmes. Le texte de Monillon parle
de la maison du vigneron. Or, une maison s'appelle Les
Vigneux. Devine ce qui trône au beau milieu de la
grange ?... Un pressoir très ancien. L'endroit est à
vendre du reste... Je brûle d'envie de le visiter.
- Non, protesta la fille brune, tu ne nous entraînes pas
une nouvelle fois dans un souterrain.
- Ne t'inquiète pas. Notre mésaventure d'hier m'a servi
de leçon.
Elles approchaient de la masure du vieil homme maintenant.
Elles franchirent la haie, cognèrent à la porte.
Aucune réponse. Elles jetèrent un coup d'œil à la ronde.
Rien ni personne.
Chloé tourna la poignée. Bérangère lui saisit le poignet.
- Tu es folle, on n'entre pas chez les gens comme cela !
- Je n'ai pas de mauvaises intentions, dit-elle haut et
clair de manière à montrer à un éventuel témoin qu'elle
ne cherchait pas à se cacher. Imagine qu'il soit tombé,
qu'il ait eu une crise par exemple.
Son amie se tut. La fille blonde entra en poussant la
porte de l'épaule.
- Regarde, il y a du feu.
- L'Augustin a dû sortir. Tu vois qu'il n'est pas là, observa
Bérangère à mi-voix.
- Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse la feuille sur la table ?
demanda la fille blonde.
En silence, sa compagne l'entraîna dehors, peina à
fermer la maison.
- Je préfère lui remettre en main propre. On ne sait
jamais avec une porte ouverte...
- Il a confiance pour partir en laissant une maison où l'on
entre comme dans un moulin, critiqua Chloé.
- Il faut être folles comme nous pour entrer chez lui,
comme cela. Je te rappelle qu’on est allées dans son
abri de ronces sans autorisation. Et tu sais ce qui nous
est arrivé !
- Tu veux dire qu’on a failli tomber dans le trou parce
que le mété ne voulait pas qu’on aille voir sa resserre ?
Là, tu exagères !
- C’est cela, c’est cela, répondit Bérangère impatiente.
Viens, ne perdons pas de temps, allons chez Alfred !
- Tu as raison, on reviendra cet après-midi, approuva
Chloé.
Elles rebroussèrent chemin. En passant devant la Sylvine,
la maison de Julien et Sophie, elles enfourchèrent
les bicyclettes. Elles roulèrent en direction de Maillet.
Elles doublèrent le dernier pâté de maisons.
Elles arrivaient à la hauteur d'un portail en bois délabré ,
rafistolé avec des ficelles de chanvre et de vulgaires
bâtons.
- Regarde... Les Vigneux..., signala Chloé.
Bérangère ralentit tant qu'elle dut poser un pied à terre.
Au fond de la cour s'élevait une grange flanquée d'une
partie habitation. On y apercevait un panneau « A
vendre ». L'accès à la grange se faisait par une avancée
de la même hauteur que le bâtiment. Les toitures s'enchevêtraient
en cascade car de nombreux appentis complétaient
le corps principal.
- C'est joli, finit par dire Bérangère.
Elle n'arrivait pas à redémarrer. La curiosité la taquinait.
- On n'a pas le temps d'aller voir, hein ? demanda Chloé
sans conviction.
- On doit prévenir Lucien, rappela Bérangère, l'œil terne.
- Pourtant...
Les deux filles se lancèrent un regard rieur. Elles sourirent
de se sentir si complices.
- Quelle paire on fait !
- Pas besoin de parler pour se comprendre !
C’était décidé, elles allaient jeter un œil aux Vigneux.
Ensemble, elles poussèrent le portail. Elles avancèrent
jusqu'à la grange en marchant à côté des vélos. Savoir
la deuxième entrée du souterrain si proche, savoir que
d'après Monillon aucun piège n'était à craindre les excitait
intérieurement. Elles retenaient leur souffle. Elles
glissèrent un œil entre les planches disjointes des portes
de la grange. Chloé eut un brusque mouvement de recul.
Elle mit un doigt sur la bouche et signifia à sa camarade
de s'écarter.
- Il y a du monde ! J'ai entendu du bruit, expliqua-t-elle.
C’est bizarre pour une maison abandonnée !
- Tu rêves, commença Bérangère...
Elle s'interrompit, des chocs métalliques venaient de
retentir. Instinctivement, elles se cachèrent sur le côté de
l'avancée. Dans la manœuvre, une poignée de guidon
s'accrocha à une sonnette.
- Tu n'as pas entendu du bruit ? demanda une voix
d'homme à l'intérieur.
- Je vais voir, fit une seconde voix.
Les filles se plaquèrent le long du mur. La porte de la
grange grinça. Quelques secondes s'écoulèrent. Un claquement
retentit. L'inconnu s'était juste contenté de
regarder dehors. Les filles respirèrent. En silence, elles
conduisirent les vélos dans un appentis encombré d'un
bric-à-brac indescriptible. Au milieu de ces objets divers,
personne ne pourrait les remarquer. Puis elles se dirigèrent
vers une ouverture sur la gauche de la grange.
Chloé savait qu'elles y trouveraient une étable séparée
du reste de la grange par des poteaux de bois, au travers
desquels on nourrissait le bétail. En Berry, c'était la
disposition traditionnelle de ce type de bâtiment. Par
bonheur, la porte avait rendu l'âme . Elles entrèrent
facilement. Des bottes de paille s'empilaient le long des
poteaux. Elles étoufferaient les bruits que les filles pourraient
faire. Bérangère découvrit un trou entre deux
bottes. Délicatement, elle l'agrandit, suffisamment pour
voir à deux, pas trop pour ne pas se faire repérer.
Chloé glissa à l'oreille de son amie :
- Ils n'ont pas l'esprit tranquille.
Celle-ci approuva de la tête.
Elles espionnèrent les hommes. Ils roulaient précautionneusement
des fûts en fer. Ils les prenaient dans un
renfoncement à droite et les déplaçaient derrière l'imposant
pressoir qui occupait le centre de la grange. Lorsqu'ils
passaient derrière l'appareil, seules les têtes dépassaient,
puis elles disparaissaient tandis que les fûts
se cognaient de façon répétitive.
- Ils doivent descendre, suggéra Chloé.
Lentement, maîtrisant chaque mouvement, elle se dirigea
à l'arrière de l'étable. Elle escalada un monceau de
foin. Elle ménagea une autre ouverture. Maintenant son
champ de vision s'étendait derrière le pressoir. Bérangère
aussi attentive à ses propres gestes, partagea
bientôt cet observatoire.
De fait, les manutentionnaires descendaient un escalier.
Comme pour l'entrée du souterrain dans le buisson de
ronces, Chloé distingua deux pierres particulières. Sauter
sur la première déclenchait certainement un mécanisme
qui déplaçait la seconde et ouvrait un passage
dans le sol. Ici, l'entrée dans le souterrain se faisait, non
pas par une sorte de puits, mais par un escalier qui
commençait au ras du dallage et s'enfonçait en sous-sol.
- La deuxième entrée ! pensa Chloé.