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texte de lecture "Un souterrain d'enfer" (auteur : Philippe Tassel - illustrations : Martine Belot)

 
 Chapitre 8

Le lendemain matin, les enfants se débarrassèrent rapidement de la corvée de la toilette. Elles avalèrent le petit déjeuner. Julien et Sophie, les cheveux ébouriffés, les yeux encore ensommeillés les regardèrent sans trop comprendre.
- Rassurez-moi, supplia faussement le père. Il n'y a pas d'école aujourd'hui ?
- C'est malin, répondit Chloé qui enfilait ses bottes. Bérangère boutonnait son blouson.
- Les jours de vacances, il faut se lever tôt et profiter de la journée, expliqua-t-elle.
- D'accord, rit Sophie. Dorénavant, je vous réveillerai à sept heures. Finies les grasses matinées.

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Dans la montée du Chêne-Mort, les filles échangèrent leurs impressions. Elles marchaient côte à côte sans Cléopâtre.
- La troisième entrée se trouve sans doute dans la maison du mété, supposa Bérangère.
- Tu crois qu'il sait déjà où elle est ? s'enquit sa camarade.
- Je ne vois pas pourquoi il nous demanderait ce qu'il sait déjà, objecta la fille brune, à moins qu'il nous cache ses vraies intentions.
- Je me méfie de lui. Pourtant je lui fais confiance. Bizarre, confia Chloé, pensive. En tous cas, je crois savoir où est la deuxième entrée ! continua-t-elle contente.
- Ha ! fit Bérangère surprise.
- Même s'ils se transforment, les noms de lieux restent presque toujours les mêmes. Le texte de Monillon parle de la maison du vigneron. Or, une maison s'appelle Les Vigneux. Devine ce qui trône au beau milieu de la grange ?... Un pressoir très ancien. L'endroit est à vendre du reste... Je brûle d'envie de le visiter.
- Non, protesta la fille brune, tu ne nous entraînes pas une nouvelle fois dans un souterrain.
- Ne t'inquiète pas. Notre mésaventure d'hier m'a servi de leçon.
Elles approchaient de la masure du vieil homme maintenant. Elles franchirent la haie, cognèrent à la porte.
Aucune réponse. Elles jetèrent un coup d'œil à la ronde. Rien ni personne.
Chloé tourna la poignée. Bérangère lui saisit le poignet.
- Tu es folle, on n'entre pas chez les gens comme cela !
- Je n'ai pas de mauvaises intentions, dit-elle haut et clair de manière à montrer à un éventuel témoin qu'elle ne cherchait pas à se cacher. Imagine qu'il soit tombé, qu'il ait eu une crise par exemple.
Son amie se tut. La fille blonde entra en poussant la porte de l'épaule.
- Regarde, il y a du feu.
- L'Augustin a dû sortir. Tu vois qu'il n'est pas là, observa Bérangère à mi-voix.
- Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse la feuille sur la table ? demanda la fille blonde.
En silence, sa compagne l'entraîna dehors, peina à fermer la maison.
- Je préfère lui remettre en main propre. On ne sait jamais avec une porte ouverte...
- Il a confiance pour partir en laissant une maison où l'on entre comme dans un moulin, critiqua Chloé.
- Il faut être folles comme nous pour entrer chez lui, comme cela. Je te rappelle qu’on est allées dans son abri de ronces sans autorisation. Et tu sais ce qui nous est arrivé !
- Tu veux dire qu’on a failli tomber dans le trou parce que le mété ne voulait pas qu’on aille voir sa resserre ? Là, tu exagères !
- C’est cela, c’est cela, répondit Bérangère impatiente. Viens, ne perdons pas de temps, allons chez Alfred !
- Tu as raison, on reviendra cet après-midi, approuva Chloé.
Elles rebroussèrent chemin. En passant devant la Sylvine, la maison de Julien et Sophie, elles enfourchèrent les bicyclettes. Elles roulèrent en direction de Maillet. Elles doublèrent le dernier pâté de maisons.
Elles arrivaient à la hauteur d'un portail en bois délabré , rafistolé avec des ficelles de chanvre et de vulgaires bâtons.
- Regarde... Les Vigneux..., signala Chloé.
Bérangère ralentit tant qu'elle dut poser un pied à terre.
Au fond de la cour s'élevait une grange flanquée d'une partie habitation. On y apercevait un panneau « A vendre ». L'accès à la grange se faisait par une avancée de la même hauteur que le bâtiment. Les toitures s'enchevêtraient en cascade car de nombreux appentis complétaient le corps principal.
- C'est joli, finit par dire Bérangère.
Elle n'arrivait pas à redémarrer. La curiosité la taquinait.
- On n'a pas le temps d'aller voir, hein ? demanda Chloé sans conviction.
- On doit prévenir Lucien, rappela Bérangère, l'œil terne.
- Pourtant...
Les deux filles se lancèrent un regard rieur. Elles sourirent de se sentir si complices.
- Quelle paire on fait !
- Pas besoin de parler pour se comprendre !
C’était décidé, elles allaient jeter un œil aux Vigneux.
Ensemble, elles poussèrent le portail. Elles avancèrent jusqu'à la grange en marchant à côté des vélos. Savoir la deuxième entrée du souterrain si proche, savoir que d'après Monillon aucun piège n'était à craindre les excitait intérieurement. Elles retenaient leur souffle. Elles glissèrent un œil entre les planches disjointes des portes de la grange. Chloé eut un brusque mouvement de recul. Elle mit un doigt sur la bouche et signifia à sa camarade de s'écarter.
- Il y a du monde ! J'ai entendu du bruit, expliqua-t-elle. C’est bizarre pour une maison abandonnée !
- Tu rêves, commença Bérangère...
Elle s'interrompit, des chocs métalliques venaient de retentir. Instinctivement, elles se cachèrent sur le côté de l'avancée. Dans la manœuvre, une poignée de guidon s'accrocha à une sonnette.
- Tu n'as pas entendu du bruit ? demanda une voix d'homme à l'intérieur.
- Je vais voir, fit une seconde voix.
Les filles se plaquèrent le long du mur. La porte de la grange grinça. Quelques secondes s'écoulèrent. Un claquement retentit. L'inconnu s'était juste contenté de regarder dehors. Les filles respirèrent. En silence, elles conduisirent les vélos dans un appentis encombré d'un bric-à-brac indescriptible. Au milieu de ces objets divers, personne ne pourrait les remarquer. Puis elles se dirigèrent vers une ouverture sur la gauche de la grange.
Chloé savait qu'elles y trouveraient une étable séparée du reste de la grange par des poteaux de bois, au travers desquels on nourrissait le bétail. En Berry, c'était la disposition traditionnelle de ce type de bâtiment. Par bonheur, la porte avait rendu l'âme . Elles entrèrent facilement. Des bottes de paille s'empilaient le long des poteaux. Elles étoufferaient les bruits que les filles pourraient faire. Bérangère découvrit un trou entre deux bottes. Délicatement, elle l'agrandit, suffisamment pour voir à deux, pas trop pour ne pas se faire repérer.
Chloé glissa à l'oreille de son amie :
- Ils n'ont pas l'esprit tranquille.
Celle-ci approuva de la tête.
Elles espionnèrent les hommes. Ils roulaient précautionneusement des fûts en fer. Ils les prenaient dans un renfoncement à droite et les déplaçaient derrière l'imposant pressoir qui occupait le centre de la grange. Lorsqu'ils passaient derrière l'appareil, seules les têtes dépassaient, puis elles disparaissaient tandis que les fûts se cognaient de façon répétitive.
- Ils doivent descendre, suggéra Chloé.
Lentement, maîtrisant chaque mouvement, elle se dirigea à l'arrière de l'étable. Elle escalada un monceau de foin. Elle ménagea une autre ouverture. Maintenant son champ de vision s'étendait derrière le pressoir. Bérangère aussi attentive à ses propres gestes, partagea bientôt cet observatoire.
De fait, les manutentionnaires descendaient un escalier. Comme pour l'entrée du souterrain dans le buisson de ronces, Chloé distingua deux pierres particulières. Sauter sur la première déclenchait certainement un mécanisme qui déplaçait la seconde et ouvrait un passage dans le sol. Ici, l'entrée dans le souterrain se faisait, non pas par une sorte de puits, mais par un escalier qui commençait au ras du dallage et s'enfonçait en sous-sol. - La deuxième entrée ! pensa Chloé.

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